Avec les Presses de l’Université de Montréal, nous avons créé une collection en accès libre qui s’intitule « Parcours numériques »[1] et dont les trois premières publications sont sorties en 2014. La collection est basée sur l’idée qu’il doit y avoir une complémentarité entre l’édition papier et l’édition numérique, ces deux formes de publication présupposant différentes idées de lecture et deux approches à la réception des contenus.
Le livre papier – et l’on entend ici également le numérique homothétique (epub ou pdf) qui reproduit à l’identique le livre papier sur un support numérique – permet une lecture linéaire. Une thèse peut y être présentée et argumentée de façon complexe. Le lecteur sera capable de suivre de manière linéaire le développement de l’argumentation, de faire un cheminement avec l’auteur en se laissant accompagner d’un bout à l’autre du discours. C’est pour cela que nous avons fait le choix de publier des livres assez courts (120/200 pages) : c’est la longueur adéquate pour présenter une thèse et la démontrer à l’aide d’une argumentation unique et cohérente. Sur un livre papier, on peut passer plusieurs heures pour suivre l’auteur dans tout son raisonnement. Mais il faut que le discours soit linéaire : tout ce qui peut faire sortir le lecteur du chemin principal doit être évacué. L’appareil critique, les références, les parenthèses, les exemples, les images, les statistiques, les détails... tous ces éléments viennent casser la linéarité de la lecture.
L’édition numérique augmentée, en revanche, présuppose une lecture non linéaire, qui procède par approfondissement. On commence par lire un premier texte sur un sujet, on souhaite en approfondir un aspect, puis on glisse sur un contenu qui se trouve ailleurs et qui nous permet d’en savoir plus sur ce qui, au départ, ne semblait qu’un détail. On navigue, on flâne, le parcours emprunté n’existe pas avant la navigation, il n’a pas été prévu par un auteur ou un éditeur. Ces derniers ont suggéré des pistes, ils ont ouvert des portes... puis la navigation est laissée aux lecteurs, à leurs envies, à leur créativité. Dans ce sens, il n’est pas vrai, comme le voudrait Nicholas Carr, que le numérique détruit notre capacité d’attention : il s’agit d’une attention différente, disséminée, qui permet l’approfondissement mais empêche de suivre un discours plus long et unitaire.
La collection « Parcours numériques » permet donc ces deux types de lecture. L’édition en ligne augmentée offre le texte en intégralité, en libre accès, ainsi que toute une série de contenus additionnels qui seront autant de portes prêtes à être ouvertes pour nous emmener ailleurs, vers des approfondissements, des sujets connexes, d’autres formes de contenus, d’autres plateformes, d’autres parcours, qui n’ont pas été nécessairement prévus par l’auteur ou par l’éditeur du livre: notes, définitions, biographies, vidéos, schémas, images, graphiques, bibliographies... C’est également pour cette raison que l’édition en ligne augmentée est gratuite : elle permet d’avoir accès à un univers connecté au livre, un univers qui n’a été créé ni par l’auteur, ni par l’éditeur. Si par la suite le lecteur souhaite se plonger pleinement et complètement dans la thèse de l’auteur afin d’en connaître et d’en comprendre les moindres aspects, il aura probablement davantage envie de le lire de façon linéaire et donc de l’acheter en papier, en epub ou en pdf.
De cette manière, une circulation libre des contenus est permise, un cercle vertueux à travers lequel est mis en avant le travail de l’auteur grâce aux liens qui sont créés vers d’autres contenus, produits par d’autres. On met simultanément en place un réseau de connaissances et un dialogue. Mais on permet aussi, grâce au papier et à son double numérique homothétique, au discours linéaire de l’auteur d’exister, clair, identifié, reconnaissable. Deux lectures qui ne sont pas en compétition donc, mais qui se complètent.
Les Presses de l’Université de Montréal ont bien voulu faire avec nous le pari que ce modèle pourra également fonctionner d’un point de vue économique : avoir le livre disponible en ligne doit permettre de connaître et de faire connaître plus largement son existence, d’en saisir sa valeur et son intérêt, et, nous l’espérons, donner envie de l’acheter au format papier ou numérique homothétique.
Marcello Vitali-Rosati, Université de Montréal (marcello.vitali.rosati@umontreal.ca)
Michael E. Sinatra, Université de Montréal (michael.eberle.sinatra@umontreal.ca)
Image: Les Presses de l'Université de Montréal
[1] http://www.parcoursnumeriques-pum.ca.