À plus de mille pages, Native Art of the Northwest Coast: A History of Changing Ideas est un livre imposant.
Charlotte Townsend-Gault, qui avec deux autres personnes a dirigé la production du livre, avoue qu’elle ne s’attend pas à ce que les lecteurs le lisent d’un bout à l’autre. Et c’est bien, ajoute-t-elle.
Car Mme Townsend-Gault affirme vouloir écarter l’idée que l’art autochtone (tout comme les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones) est un concept simple et direct. Ce n’est qu’en découvrant sa complexité et ses contradictions qu’on peut venir à l’apprécier. Et parfois, il est bon de faire ces découvertes petit à petit, chapitre par chapitre.
Native Art of the Northwest Coast: A History of Changing Ideas vient de recevoir le Canada Prize in the humanities 2015 décerné par la Fédération des sciences humaines. Le livre présente une série d’essais écrits par différents auteurs; chacun parle de l’art de son point de vue.
Par exemple Daisy Sewid-Smith, de la nation Kwakwakewakw, affirme dès le départ que « le mot art n’existe pas dans le vocabulaire de mon peuple ».
Elle explique que les sculptures Kwakwakewakw ne sont pas pour son peuple des objets d’art, mais des symboles vivants qui servent à enseigner et faire découvrir les connaissances du passé.
Ainsi, poursuit Mme Sewid-Smith, aux yeux de certains Autochtones, les objets d’art produits par les non-Autochtones semblent ‘muets’ car ils ne racontent pas une histoire. On comprend mal que ce soit l’œuvre d’art elle-même, et non le sujet, qui soit au cœur de l’art. Si la Joconde elle-même était importante, poursuit Mme Sewid-Smith, on ne s’interrogerait pas sur ses origines, ou le secret qu’elle semble cacher sous son sourire.
Mme Townsend-Gault affirme que la thèse de Mme Sewid-Smith peut être contredite. Et en fait, ajoute-t-elle, plusieurs auteurs présents dans le livre sont contredits par d’autres auteurs.
Cela ne choque pas Mme Townsend-Gault.
Les questions d’histoire, d’identité et d’art sont complexes, dit-elle, et ne se prêtent pas à des définitions simples. Ce qui pour une personne est un objet d’art est pour l’autre un symbole culturel.
« Les gens en sont de plus en plus conscients, dit-elle. Alors qu’il y a 25 ans, lorsque j’ai eu pour la première fois l’idée de faire ce livre, on voyait de façon plus simple les choses ».
« Nous connaissons tous l’étendue des préjugés, et les préjugés naissent de la méconnaissance, une méconnaissance parfois voulue. Les gens n’ont tout simplement pas assez de connaissances. Ce que nous avons donc voulu faire, c’est de présenter en un seul livre un aperçu de la diversité des idées et des peuples ».
Il n’existe pas selon Mme Townsend-Gault une seule façon de voir le passé. Tout récit part d’un point de vue. Certains récits dominent, mais ça ne veut pas pour autant dire qu’ils ont plus de valeur que d’autres récits.
« Dans ce livre nous tentons de montrer qu’il existe plusieurs différentes versions », dit-elle. Elle ajoute que la meilleure façon de faire ressortir la diversité, c’est de demander à plusieurs personnes de contribuer à quelque chose.
« Nous avons demandé à chaque auteur de fouiller dans les archives et les autres sources et de revenir nous dire ce qu’ils ont trouvé. Ils présentent leur rapport au pays.
« Il n’est pas question de culpabilisation ou de rectitude politique, poursuit-elle. Le mot qui me vient à l’esprit est ‘complexifier.’ Nous nous devons de re-complexifier notre histoire. Nous tentons à travers ce livre de boucher les trous qui existent quant à nos connaissances ».
Charlotte Townsend-Gault, Jennifer Kramer et Ḳi-ḳe-in ont dirigé la rédaction de Native Art of the Northwest Coast, publié par UBC Press. Mme Townsend-Gault est professeure au département de l’histoire de l’art et professeure agrégée au département d’anthropologie à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC). Jennifer Kramer est à la fois professeure agrégée en anthropologie à la UBC, et conservatrice au UBC Museum of Anthropology. Ḳi-ḳe-in est un historien nuuchaanult, ainsi qu’un poète, un créateur d’objets, un conférencier et un maître du rituel.
Image: University of British Columbia Press