Daniel Drolet
Écrivain, philosophe et intellectuel engagé, Jean-Paul Sartre était fasciné par les États-Unis.
Un nouveau livre de Yan Hamel, un professeur de littérature à la TÉLUQ, décortique le rêve américain de Sartre, homme de lettres et apôtre de la gauche française du milieu du 20e siècle.
« Sartre a fixé le discours sur les États-Unis qu’on retrouve chez la gauche française après la Deuxième Guerre mondiale », affirme M. Hamel, en expliquant pourquoi il avait décidé d’aborder le sujet.
Le livre de M. Hamel, L’Amérique selon Sartre : littérature, philosophie, politique vient de se voir attribuer le Prix du Canada 2015 en sciences humaines. Le prix est décerné par la Fédération des sciences humaines.
M. Hamel prend soin de préciser que L’Amérique selon Sartre n’est pas une biographie, et qu’il n’examine pas la vie de Jean-Paul Sartre en tant qu’individu; ce qui l’intéresse, ce sont les écrits de l’homme de lettres, les textes dans lesquels Sartre parle des États-Unis.
En relisant les 15 000 pages de littérature, philosophie et textes laissées par Sartre au cours des sept ans qu’il a mis à écrire son livre, M. Hamel a découvert que l’Amérique revient souvent. Sartre aborde le pays de trois façons différentes.
Sartre, né en 1905 et mort en 1980, s’est rendu pour la première fois aux États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire en 1945. Mais sa fascination avait commencé bien avant – une fascination alimentée par le jazz, les films américains, le mythe du cowboy libre et indépendant, et les gratte-ciel de New-York qui incarnaient modernité et richesse. (Le pays faisait également peur, avec la sauvagerie des gangsters de Chicago.)
Vue de loin, cette Amérique plus grande que nature, ce pays qui semblait incarner l’avenir, l’attirait; M. Hamel parle donc de « l’Amérique désirée ». La nuit, Sartre rêvait littéralement de New-York et est allé jusqu’à reprendre certaines techniques utilisées par des auteurs américains dans ses romans.
Mais en voyageant aux États-Unis, Sartre découvre l’envers de la médaille – les mauvaises conditions dans les usines, la pauvreté, les tensions raciales. C’est « l’Amérique connue » présentée aux Français dans des écrits, comme par exemple deux articles parus dans Le Figaro à l’été 1945 où il tente après une visite d’expliquer le « problème noir ».
Un désenchantement s’installe à mesure que s’intensifie la Guerre froide.
« Il devient de plus en plus difficile de parler positivement des États-Unis », note M. Hamel.
En 1953, c’est la rupture, la naissance de ce que M. Hamel nomme « L’Amérique honnie » : De la chasse aux Communistes aux excès de la Guerre du Viêt-Nam, Sartre dénoncera désormais les États-Unis, devenu le « monstre sureuropéen ».
Selon M. Hamel, l’importance de Sartre tient du fait qu’il a pu présenter sa vision des États-Unis à la France, et aussi d’un point de vue français. En parlant des États-Unis, Sartre traduit les fantasmes, les désirs et les peurs qui sont ceux de la France.
Les idées de Sartre ne sont pas toutes originales, poursuit M. Hamel, mais son génie vient de sa capacité de récupérer des idées et des concepts et de les présenter d’une nouvelle façon, et ainsi les rendre stimulantes. Il alimente ainsi le débat public dans son pays.
« Voilà pourquoi Sartre est intéressant : Il peut aller chercher des idées et les présenter d’une nouvelle façon. Il a quelques idées reçues, mais il les remet en circulation ».
Yan Hamel est professeur de littérature à la TÉLUQ à l’Unité d’enseignement et de recherche, Sciences humaines, Lettres et Communications. Il a également été président de la North American Sartre Society. L’Amérique selon Sartre : littérature, philosophie, politique est publié par le Presses de l’Université de Montréal.
Image: Les Presses de l'Université de Montréal