Lorsqu’il est question de taxes, la croyance populaire veut que la majorité des gens s’entendent sur une chose : les autres ne paient pas leur juste part comparativement à ce qu’ils devraient payer en impôts.
Les Canadiens de la première heure n’ont pas échappé à cette impression, c’est en partie ce qu’on apprend dans un livre lauréat du Prix du Canada en sciences humaines et sociales 2018 : Tax, Order, and Good Government: A New Political History of Canada, 1867-1917 signé par Elsbeth A. Heaman, professeure d’histoire à l’Université McGill.
Les jeux de pouvoir opposant les habitants du Haut-Canada et du Bas-Canada en matière de taxes et les conséquences que ces dernières ont pu avoir sur la vie des plus démunis sont la trame de fond du bouquin publié chez McGill-Queen’s University Press. Ce livre s’inscrit d’ailleurs dans un tandem complété par Give and Take : The Citizen-Taxpayer and the Rise of Canadian Democracy de Shirley Tillotson qui couvre la période commençant avec l’instauration de l’impôt sur le revenu en 1917.
Si l’auteure reconnaît que les taxes attirent bien peu la sympathie des contribuables, elle maintient qu’il est primordial de s’intéresser aux politiques financières du pays tout en gardant en tête l’impact que ces politiques peuvent avoir sur les moins nantis.
Pour illustrer les relations entre les riches et les pauvres pendant le premier demi-siècle du Canada, l’historienne sociale s’intéresse particulièrement aux débats publics et politiques qui ont notamment donné naissance à l’impôt sur le revenu.
Celle qui croit que la question « Qu’est-ce que les démunis méritent? » tenait une place importante dans les débats politiques des années 1860 s’inquiète du fait qu’on en retrouve peu de traces dans ce qui est connu comme l’histoire du Canada. « Je pense que nous devons écrire notre histoire politique différemment », affirme-t-elle. Elle propose entre autres, de s’éloigner du récit romantique décrivant l’histoire politique comme un groupe d’hommes assis autour d’une table prenant des décisions et d’y inclure les débats publics plus vastes visant à établir ce que les gens méritaient.
C’est avec l’espoir de contribuer à l’éducation du grand public sur la question de la taxation canadienne que Mme Heaman et son équipe ont épluché de très nombreux documents d’archives municipales, provinciales et fédérales dans différents bureaux à travers le pays.
Dans cette cueillette d’information, elle a mis la main, entre autres, sur une note d’un certain A. Goldstein implorant le percepteur de la ville de Montréal de lui faire grâce du paiement de ses taxes municipales sur l’eau. Dans sa missive datant de 1890, M. Goldstein exposait que sa famille avait connu de nombreuses épreuves au cours des derniers mois et que, pour lui, si on insistait pour que cette facture soit payée, ce serait l’équivalent de les condamner à mourir, lui et les siens.
Frappée par la teneur de cette demande, l’historienne s’est questionnée sur le type de droits qu’avait cette personne à cette époque. « Une partie de ce à quoi sert l’histoire sociale est de donner une voix aux gens qui n’ont généralement pas l’occasion de s’exprimer et de démontrer que leurs revendications ont un poids et méritent que les journalistes, les politiciens et le grand public y prêtent attention. » Aujourd’hui, davantage de mécanismes sont en place pour permettre d’aborder les questions de justice sociale. « Les gens sont exposés à ce genre de débats et y réfléchissent, même s’ils n’agissent pas toujours », estime Mme Heaman.
Pour tordre le cou à une croyance populaire bien ancrée dans les esprits, la chercheuse ne voit qu’une avenue : « Il faudrait qu’il y ait continuellement des gens qui débattent d’équité en public. »
Elsbeth Heaman est professeure agrégée d’histoire et d’études classiques à l’Université McGill, dont elle dirige aussi l’Institut d’études canadiennes. Tax, Order, and Good Government: A New Political History, 1867-1917 est publié par McGill-Queen’s University Press.