Daniel Drolet
Quand ils parlaient du Canada, raconte Michel Ducharme, ses étudiants ne cessaient de lui dire que le concept de « paix, ordre et bon gouvernement » était un principe fondateur du pays – par opposition au concept de liberté prisé par nos voisins américains.
L’historien sortait troublé de ces discussions, car ayant lu plusieurs documents historiques importants, il savait que le mot « liberté » était très cher à nos ancêtres canadiens. Pourquoi ne fait-il pas partie de notre discours politique moderne?
Son livre Le concept de liberté au Canada à l’époque des Révolutions atlantiques, 1776-1838 est un peu une réponse à ses étudiants.
Ce qu’il découvre, c’est en fait que deux versions très distinctes de « liberté » se sont affrontées au Canada au cours des années qui ont précédé les rebellions de 1837-1838.
Et que la version qui a eu le dessus est à la base de nos institutions modernes.
Ducharme, lauréat cette année du Prix du Canada en sciences sociales pour un ouvrage en français, prix attribué par la Fédération canadienne des sciences humaines, raconte qu’à partir de la déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, une vague de révolutions et de guerres d’indépendance a déferlé sur l’Europe et l’Amérique. Ce sont les Révolutions atlantiques.
De la Révolution américaine à la Révolution française en passant par les guerres d’indépendance en Amérique latine, ces mouvements ont tous revendiqué la « liberté ».
(Le mot est devenu tellement populaire qu’il été repris par les mouvements réactionnaires de l’époque.)
Deux définitions différentes de liberté sont apparues au Canada.
D’une part il y avait la liberté dite « constitutionnelle britannique » qui mettait de l’avant les libertés civiles comme le droit de parole, le droit à la propriété et l’habeas corpus – libertés accordées par le gouvernement.
D’autre part existait la liberté dite « républicaine ». Moins passive que la liberté britannique, elle misait sur la participation des citoyens au processus politique, en déclarant que la participation elle-même étant garante de liberté. Le gouvernement serait ainsi à la remorque des citoyens.
Les rebellions de 1837-1838 au Canada ont essentiellement été un affrontement entre ces deux idées, les Patriotes défendant la définition républicaine.
La défaite des Patriotes marque le triomphe d’une liberté « britannique » au Canada, affirme Ducharme. Et le concept de « paix, ordre et bon gouvernement » découle de cette victoire.
« Le principe de liberté n’est pas immuable du tout. Il change dans le temps – pour le meilleur et pour le pire », explique Ducharme.
« Si mon livre sert à quelque chose, j’espère que ce sera à faire réfléchir les gens sur ce que veut dire la liberté. Et aussi à mieux comprendre les bases fondamentales du Québec et du Canada ».
Michel Ducharme est professeur adjoint au département d'histoire de l’Université de la Colombie-Britannique. Son livre Le concept de liberté au Canada à l’époque des Révolutions atlantiques, 1776-1838 est publié par McGill Queen’s University Press.