Le Prix du Canada en sciences humaines et le Prix du Canada en sciences sociales reconnaissent des ouvrages savants qui sont essentiels à la croissance du savoir et qui enrichissent la vie sociale, culturelle et intellectuelle au Canada et au monde. Quatre prix – deux en anglais et deux en français – d’une valeur de $2 500 chacun sont décernés chaque année. Les ouvrages admissibles pour les prix ont reçu une subvention du Programme d’aide à l’édition savante et sont choisis par un jury de savants de partout au Canada.
Antoine Boisclair est lauréat du Prix du Canada en sciences humaines 2011. Comme en témoignent de manière exemplaire les parcours de plusieurs poètes québécois, l’histoire de la poésie moderne est marquée par un dialogue long et fructueux avec la peinture. En commentant des tableaux ou des dessins, en les interrogeant dans le cadre de poèmes, d’essais ou de chroniques d’art, les poètes ont développé de nouvelles sensibilités esthétiques. Dans le livre, L'École du regard. Poésie et peinture chez Saint-Denys Garneau, Roland Giguère et Robert Melançon, Boisclair jette un regard neuf sur l’histoire de la poésie québécoise. Plus largement, il explore différents «modes de visibilité» ayant marqué l’art moderne, différentes façons de configurer les rapports entre le visible et le dicible.
1. Les arts ont joué un rôle important dans la formation de l’identité culturelle québécoise. Comment la relation entre la poésie moderne et la peinture a-t-elle été affectée par cette histoire ?
Pierre Vadeboncoeur affirmait, dans son livre intitulé La ligne du risque, que l’identité québécoise est née avec Refus global, c’est-à-dire avec un manifeste artistique. De ce point de vue, l’art a joué un rôle majeur dans la définition de l’identité culturelle québécoise. Mon travail a visé, dans un certain sens, à montrer que la question identitaire loge au cœur du dialogue entre les arts. En commentant des tableaux, les poètes québécois ont développé des théories sur le regard, mais aussi sur le sujet – au sens ontologique du terme – et sur l’identité.
La relation entre la poésie et la peinture, par ailleurs, est marquée par une ouverture à différentes cultures : dès les années 1930, avec Saint-Denys Garneau, les poètes ne se contentent plus de commenter des peintres locaux et s’ouvrent à l’art moderne. Enfin, je dirais que la relation entre la poésie québécoise et la peinture transcende en partie les débats linguistiques qui ont marqué la constitution de l’identité québécoise. Saint-Denys Garneau, pour prendre le même exemple, s’est intéressé à des peintres anglophones et a clairement voulu affranchir l’art des discours nationalistes de Lionel Groulx.
2. Comment les changements en matière de communications provoqués par Internet et les technologies associées ont-ils influé sur les dialogues au sujet des arts et entre les formes d’arts ? Est-ce que ces changements ont donné aux gens une meilleure compréhension de l’art ou simplement plus d’informations ?
Répondre à cette question nécessite des connaissances que je ne possède pas [mais dans] la conclusion de mon travail, j’évoque brièvement ce que des historiens de l’art ont nommé la « crise de l’art contemporain », crise qui se serait en fait un éclatement des réseaux et des institutions traditionnellement associés au monde de l’art. Internet a très certainement contribué à ce qu’Yves Michaud ou Marc Jimenez appellent le « pluralisme » esthétique propre à l’art actuel. La relation entre la poésie contemporaine et la peinture est sûrement marquée par ce pluralisme.
3. En quoi est-ce important que les chercheurs retracent et décrivent ces influences et les relations à l’intérieur d’une communauté artistique ?
Il est difficile de définir en quoi consiste une « communauté artistique ». Au sens où l’entendrait sans doute Pierre Bourdieu, une « communauté » est un regroupement au sein duquel s’effectue une lutte de reconnaissance ou de légitimité. Bien qu’elle soit marquée par des enjeux institutionnels, l’histoire de la relation entre la poésie québécoise et la peinture n’obéit pas uniquement à ce schéma. Les communautés artistiques que met en lumière le dialogue entre les arts implique différentes époques (Robert Melançon, auquel je consacre un chapitre, s’intéresse autant à Poussin qu’à Picasso). Ainsi, les chercheurs devraient à mon avis s’intéresser à l’aspect esthétique des communautés artistiques, et non pas seulement à l’aspect sociologique.
4. Est-ce que les chercheurs canadiens ont quelque bien unique ou spécifique à offrir au monde en se basant sur l'expérience canadienne avec l’impact de ces influences et les façons dont elles ont changé ?
Bien entendu, chaque culture offre un point de vue spécifique sur le monde. La culture québécoise étant au carrefour des mondes francophone et anglophone, je crois que les chercheurs d’ici ont la possibilité de développer des réflexions plus comparatives et, peut-être, plus vastes sur certains sujets. C’est un cliché de l’affirmer, mais les cultures minoritaires se caractérisent par leur porosité et leur capacité d’accueillir la différence. Il s’agit là d’une richesse que les chercheurs doivent exploiter.
5. Que représentent pour les chercheurs et leurs ouvrages des distinctions comme le Prix du Canada ?
C’est évidemment une forme de reconnaissance très appréciée. Un tel prix nous indique tout d’abord que nos livres ont des lecteurs – ce qui est déjà beaucoup ! –, ensuite qu’ils peuvent rejoindre les lecteurs d’autres provinces canadiennes. Un organisme comme le Programme d’aide à l’édition savante (PAES) est par ailleurs nécessaire pour encourager les chercheurs à publier des travaux qui, on doit le reconnaître, s’adressent à un lectorat souvent restreint. Le Prix du Canada est en ce sens une très belle forme d’encouragement.
La relation entre la poésie et la peinture, par ailleurs, est marquée par une ouverture à différentes cultures : dès les années 1930, avec Saint-Denys Garneau, les poètes ne se contentent plus de commenter des peintres locaux et s’ouvrent à l’art moderne. Enfin, je dirais que la relation entre la poésie québécoise et la peinture transcende en partie les débats linguistiques qui ont marqué la constitution de l’identité québécoise. Saint-Denys Garneau, pour prendre le même exemple, s’est intéressé à des peintres anglophones et a clairement voulu affranchir l’art des discours nationalistes de Lionel Groulx.