L’interculturalisme au Québec : pour rassurer la majorité?

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2 août 2011

Annick Germain, Institut national de la recherche scientifique 

This blog entry is part of the Equity Issues Portfolio’s series on ‘interculturalism and pluralism’ .

Du 25 au 27 mai avait lieu à Montréal un symposium  international sur l’interculturalisme. L’événement qui a attiré beaucoup de monde, faisait suite à un premier atelier préparatoire en février et était organisé, en collaboration avec le Conseil de l’Europe, par Gérard Bouchard de l’Université du Québec à Chicoutimi  et ex-président de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. En ces temps mouvementés où le multiculturalisme est accusé de tous les maux en Europe et où le Québec se remet à peine de la saga des accommodements raisonnables, la tentation était grande de miser sur cette troisième voie que pourrait être l’interculturalisme.

Face à un républicanisme à la française désarçonné par la question lancinante des « banlieues » et face au discrédit jeté par plusieurs voix politiques sur le multiculturalisme, le Québec aurait-il trouvé le modèle d’intégration idéal? Rien n’est moins sûr, si l’on en juge par les regards forts mitigés portés par les Européens invités au Symposium (qui parlent davantage de dialogue interculturel) ainsi que par de nombreux participants locaux. Mais aurait-il pu en être autrement au vu des ambiguïtés dont ce terme est porteur, pour ne pas dire du flou artistique dont on entoure sa définition, mais surtout compte tenu des fonctions sociales qu’on semble vouloir lui faire jouer actuellement.

Du côté des ambiguïtés, on se contentera de rappeler que le terme est tour à tour associé à des activités d’échange et de dialogue, à une philosophie en matière de gestion de la diversité, ou même à une philosophie politique. Par ailleurs,  si le Québec a articulé depuis le début des années 1990 une politique originale en matière d’accueil et d’intégration, il n’y a pas de véritable politique globale logée explicitement à l’enseigne de l’interculturalisme. Une des recommandations de la Commission Bouchard Taylor sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles était d’ailleurs d’en faire une loi pour en promouvoir l’application dans toutes les sphères gouvernementales.

Quant aux activités d’échange placées sous le signe de l’interculturalisme, elles sont très disparates et rarement bi-directionnelles. Les notions d’échange et de réciprocité au cœur de la notion même d’interculturalisme semblent être restées des vœux pieux. Les activités de rapprochement destinées à favoriser les contacts entre immigrants récents et personnes « incarnant » la société d’accueil, ne réunissent bien souvent que les premiers. D’ailleurs, dans de nombreux quartiers métropolitains, ce sont les personnes issues de l’immigration qui sont les hôtes et qui pratiquent les cultures de l’hospitalité.

Mais qu’il s’agisse d’activités interculturelles ou de politiques d’immigration ou plutôt d’intégration, les significations de l’interculturalisme ont changé dans le temps, tout comme celles du multiculturalisme d’ailleurs, au point où plusieurs notent leurs convergences.

Et aujourd’hui, la mission attribuée à l’interculturalisme semble concerner fort peu l’amélioration des processus d’intégration des immigrants. Il s’agirait plutôt de protéger la majorité face à une diversité culturelle de plus en plus importante, pour ne pas dire envahissante. On assiste en effet d’une part, à la multiplication de discours sur les incertitudes et inquiétudes venant tourmenter la majorité. La langue et la religion en sont bien évidemment les deux vecteurs, associés particulièrement aux nouvelles vagues d’immigration (et ceci ne concerne pas que le Québec). D’autre part, un peu partout, on multiplie les conditions imposées aux nouveaux arrivants pour garantir des compétences linguistiques et l’acceptation de valeurs communes. Les exigences de conformité culturelle en viennent à primer sur les mesures d’aide à l’intégration.

Il faut donc en conclure que l’interculturalisme aurait surtout pour mission de rassurer la majorité, en garantissant sa préséance et en protégeant son héritage, pour paraphraser Gérard Bouchard. Cette vision n’est pas entièrement nouvelle. Si jadis, plusieurs municipalités québécoises ont fait œuvre de pionnières en s’aventurant sur le terrain de l’interculturel, d’autres se sont dotées de politiques interculturelles pour bien montrer à leurs commettants qu’elles avaient  les choses bien en main, face à l’établissement de nouvelles populations aux caractéristiques culturelles différentes de celles de la majorité.

De toute évidence, le discours contemporain sur l’interculturalisme (tout comme la critique du multiculturalisme, prise pour acquise en sous-estimant l’attachement dont le multiculturalisme fait l’objet au Canada anglais et dans une moindre mesure au Québec) s’adresse à la majorité qui est, il va sans dire, blanche et francophone.

Or ce discours prend de l’ampleur à un moment où les politiques d’immigration, au Québec comme au Canada, sont traversées par des changements qui pourraient ébranler leurs fondements, et ce à la fois en amont et en aval. En amont, la croissance spectaculaire du volume de l’immigration temporaire ne cadre pas du tout avec une immigration sélectionnée de futurs citoyens. En aval, la piètre performance des immigrants au chapitre de l’emploi et du revenu au moment où ils affichent des niveaux de qualification jamais atteints auparavant, et l’exclusion de certains groupes racisés devraient nous préoccuper sérieusement. Il est aussi étonnant d’entendre autant parler d’interculturalisme, alors qu’on s’empresse de gommer (de pasteuriser?) les différences culturelles et religieuses dans les espaces publics.

La décalage entre ces réalités et les passions déchaînées par l’interculturalisme et le multiculturalisme, est malsain et doit être surmonté au plus vite. Ce n’est pas seulement la réputation de nos politiques qui est en jeu mais aussi et surtout  le sort de nos futurs compatriotes.

Annick Germain est professeure-chercheure titulaire à l'Institut national de la recherche scientifique Urbanisation Culture Société, Montréal., directrice du Centre Métropolis du Québec - Immigration et métropoles et membre du Centre d'études ethniques des universités montréalaises.