Si la décolonisation consiste à se défaire du manteau de l'oppresseur, qu'est-ce que le postcolonialisme? S'agit-il d'une capitulation au colonialisme ou d'un lieu de résistance? Et si le postcolonialisme représente l'avenir, cela signifie-t-il que la décolonisation est une nostalgie du passé? Comment faire la part des choses entre les deux?
Telles sont les questions auxquelles Hassan Moustir tente de répondre. Écrivain et professeur de littérature Maghrébine et Francophone à la Faculté des Lettres de l'Université Mohammed V de Rabat, Moustir est intervenu via Zoom devant l'Association internationale d'étude des littératures et cultures de l'espace francophone (AIELCEF). En français, il a tenté de démêler ces termes et le bagage qu'ils véhiculent.
Moustir a insisté sur le fait qu'il existe des différences claires entre le décolonialisme et le postcolonialisme. D'un point de vue épistémologique, leurs usages critiques sont similaires, mais en les confondant, on aboutit souvent à une mauvaise critique et à une critique abusive.
La décolonisation en tant que mouvement "est de retour", a affirmé M. Moustir, "mais qu'est-ce que cela signifie? Est-ce du révisionnisme? Est-ce une continuation de la lutte anticoloniale? Est-ce une forme de nostalgie? Le paradigme du décolonialisme est constitué de multiples fils, admet Moustir, où le genre, la race et d'autres catégories se croisent, ce qui peut le rendre difficile à définir. Mais en tant que mouvement intersectionnel, le décolonialisme se veut libérateur.
Mais c'est ici qu'il est confondu avec le postcolonialisme. Le postcolonialisme est transcendantal, estime Moustir. Il s'agit pour les peuples de dépasser le stade colonial et de s'adapter à un monde qui a changé, de célébrer un monde cosmopolite qui embrasse l'avenir et crée de nouvelles identités. La décolonisation célèbre l'origine des coloniaux, tandis que le postcolonialisme célèbre leur situation actuelle. La décolonisation s'intéresse au précolonial, influencé par le discours colonial. Le postcolonialisme, quant à lui, se tourne vers l'avenir, en particulier vers la métropole où les sujets postcoloniaux - par exemple, les musulman.e.s français.e.s ou les communautés latines américaines - ont élu domicile.
Les deux points de vue sont tellement opposés, selon Moustir, que même les textes canoniques d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon sont lus différemment par les deux courants.
Le postcolonialisme tend à s'opposer à la métaphysique de l'identité, alors que le décolonialisme l'adopte. Le problème, selon Moustir, est que si le postcolonialisme nie les concepts d'"Orient" ou d'"Afrique", il nie également les concepts d'"Occident", qui sont nés des concepts de la Grèce, du Moyen-Orient et de l'Afrique, entre autres.
Moustir soutient qu'il y a aujourd'hui un changement de paradigme, du postcolonial au décolonial, et une compréhension que nous devons tous et toutes – colonisateur.rice.s et colonisé.e.s - chercher à nous décoloniser. Il est essentiel de comprendre que la décolonisation ne consiste pas à ramener la tradition, tout comme le postcolonialisme ne consiste pas à nier les identités. Il s'agit plutôt dans les deux cas de "laboratoires d'identités" complexes.
Hassan Moustir et un écrivain et professeur de littérature Maghrébine et Francophone à la Faculté des Lettres de Rabat.