Alain-G. Gagnon, MSRC, lauréat 2010 de la Fondation Trudeau et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes à l’UQAM.
Dans la foulée du texte soumis par le professeur Jean Leclair, qui prononcera la conférence Voir Grand intitulée « Penser le Canada dans un univers désenchanté » le jeudi 4 juin à 12 h 15, j’expose ici une autre perspective sur les promesses du fédéralisme en vue de repenser nos relations avec les peuples minoritaires.
Cet autre modèle permet d’aborder différemment les relations avec les Autochtones au Canada, en cette ère où les revendications légitimes qui touchent les repères identitaires en contexte de pluralisme national n’apparaissent pas comme des enjeux prioritaires à l’aune de la mondialisation, de l’endettement des États, des pandémies, de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité énergétique.
Comment relever de tels défis? Il importe aujourd’hui tant pour les nations majoritaires que pour les nations minoritaires d’adopter une lecture plurielle et pluraliste de ces questions. Dans mes plus récents travaux, j’ai identifié trois principes qui permettent de favoriser le pluralisme qui devrait inspirer nos conceptions du droit et de la souveraineté, notamment en ce qui concerne les relations avec les Autochtones au Canada.
D’abord, il est impératif de poursuivre la quête d’équilibre entre les demandes des Premières nations pour la reconnaissance et celles formulées par l’ensemble de la population, tout en faisant preuve d’un grand sens de la mesure étant donné les forces inégales en présence. Il importe aussi de faire en sorte qu’une société juste et empreinte de dignité et d’authenticité s’enracine, afin que les individus et les collectivités minoritaires puissent atteindre leur plein potentiel. Enfin, il est essentiel, tant pour les nations majoritaires que pour les nations minoritaires, de fonder leurs pratiques et leurs politiques sur une éthique de l’hospitalité.
La mise en œuvre de ces trois principes éthiques permettra aux communautés d’accueil en contexte de fédéralisme multinational de contrer l’effritement du sens communautaire, d’atténuer la prédominance des langues majoritaires, de résister à l’appauvrissement des régimes de citoyenneté et à l’érosion du politique et de voir, de façon bienveillante, à l’accueil des populations migrantes de plus en plus importantes sur le territoire. Le respect et l’émulation de ces trois exigences confèrent à l’expérience fédérale, tant ici qu’à l’étranger, sa véritable portée multinationale.
En somme, une pensée fédérale doit tenir compte des considérations éthiques que sont la recherche d’équilibre, l’atteinte de la dignité humaine et l’éthique de l’hospitalité. L’idéal fédéral, garant de la continuité historique et de la reconnaissance, n’aura une utilité et un sens véritable que dans la mesure où les rapports de pouvoir entre les communautés ne seront pas imposés, mais librement négociés.
Spécialiste du fédéralisme, Alain-G. Gagnon est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, où il dirige le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales. Il est l’auteur de L’âge des incertitudes (PUL).