Regard sur l’héritage de milliers d’esclaves noirs qui ont fui au Canada dans les années 1800
Laura Czekaj, Fondation canadienne pour l'innovation
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Au XIXe siècle, des Noirs américains ont échappé à l’esclavage en s’installant dans des colonies du sud de l’Ontario qu’ils voyaient comme une terre de liberté et d’affranchissement où ils pourraient enfin réaliser leurs rêves.
Le périple de milliers d’esclaves en fuite et de Noirs libres d’Amérique du Nord le long du Chemin de fer clandestin a mené à l’établissement de collectivités dans des régions comme celle du comté de Chatham-Kent, qui cultivaient de puissantes valeurs relatives à la liberté, à l’identité et à la citoyenneté. Ces dernières ont ainsi jeté les bases sur lesquelles les Noirs canadiens allaient s’appuyer pour abolir l’esclavage aux États-Unis et protéger les droits de la personne au Canada et à l’étranger.
Chaque année, en février, le Mois de l'histoire des Noirs souligne la contribution de la collectivité afro-canadienne. Toutefois, selon un chercheur de l’Université d’Ottawa, l’apport des anciens esclaves américains au développement de notre pays a en grande partie sombré dans l’oubli.
« Souvent, nous oublions ce pour quoi nous nous sommes battus et d’où nous venons », explique Boulou Ebanda de B'béri, directeur du Laboratoire des médias audiovisuels pour l’étude des cultures et des sociétés (LAMAC&S). « Ces personnes se battaient pour obtenir une société civile ainsi que le droit de voter et d’être entendu – des valeurs qui nous sont chères aujourd’hui encore. » M. de B'béri espère corriger cette amnésie historique en prenant part au projet Terre promise, une étude portant sur l’expérience de la liberté vécue par des pionniers noirs du XIXe siècle dans les colonies de Chatham et de Dawn.
Ce projet interdisciplinaire fait appel à l’expertise de chercheurs nationaux et internationaux pour préserver et démocratiser des archives ainsi qu’élaborer du matériel pédagogique et des projets communautaires.
Ces colonies constituaient une des nombreuses étapes du réseau de maisons secrètes qui offraient une halte sécuritaire le long du Chemin de fer clandestin. Elles ont accueilli des centaines de Noirs libres dont les relations avec les Blancs et les Autochtones ont permis à des chercheurs tels que M. de B'béri de recueillir des renseignements sur les interactions entre ces différents peuples.
C’est en 2005, alors qu’il faisait du camping à Chatham avec son fils de cinq ans, que M. de B'béri a d’abord pris connaissance de l’histoire des Noirs de la région et, en particulier, du rôle joué par Mary Ann Shadd Cary, enseignante, rédactrice en chef d’un journal, abolitionniste et militante des droits de la femme au milieu des années1800.
L’intrépidité de cette pionnière qui s’est battue pour l’égalité raciale a poussé M. de B'béri à entreprendre une odyssée universitaire qui est devenue l’obsession de sa vie.
Ces collectivités où cohabitaient autrefois plusieurs peuples sont aujourd’hui plus homogènes. En effet, lorsque l’esclavage a été aboli aux États-Unis au terme de la Guerre civile, un grand nombre d’anciens esclaves ont quitté la région pour aller s’établir ailleurs au Canada ou rejoindre leur famille.
Bryan Prince, descendant de sixième génération d’esclaves noirs, estime que ces collectivités ontariennes ont constitué pour les esclaves en fuite un refuge sûr, ce qui était rarissime à l’époque. « Lorsque ces personnes étaient encore asservies, c’est ainsi qu’elles imaginaient le Canada – cette terre de la Reine Victoria – et ses promesses, explique-t-il. Voilà pourquoi il s’agissait d’un lieu magique, voire mystique, pour un si grand nombre d’entre elles. »
Boulou Ebanda de B’béri participera à la table ronde « The Quebec Charter of Values: A Moral Panic? » qui se déroulera le mercredi 28 mai au Congrès des sciences humaines 2014. L’événement est organisé par l’Association canadienne de communication. Cet article a été publié à l’origine sur innovation.ca, en février 2009. Depuis, M. de B'béri a corédigé le livre The Promised Land Project: History and Historiography of Black Experience in Chatham-Kent and Beyond, qui sera publié cet été par la University of Toronto Press.