Penser la « pervertibilité » - Avec Jacques Derrida

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« Au départ, je m'intéressais surtout aux XIXe siècle littéraire et je voulais travailler sur Baudelaire et sur ses emprunts à l'écrivain américain Edgar Allan Poe, dont celui de la notion de perversité qui n'avait rien à voir avec ce qu'on entend généralement par ce mot dans la langue commune, ce qui m'intriguait beaucoup. »

À propos de l'auteur

Photo de Nicholas Cotton

Nicholas Cotton est enseignant-chercheur au Collège Édouard-Montpetit (Longueuil, Canada). Il est l’auteur de Penser la « pervertibilité » – Avec Jacques Derrida (PUM, 2023) et il est membre du comité international responsable de l’édition des séminaires de Derrida, dont il a coédité les deux volumes du séminaire Le parjure et le pardon et celui de Répondre – du secret (Seuil). Il est membre actif du comité des usagers des Bibliothèques et des Archives nationales du Québec (BAnQ) et il coanime le balado Mythes de rien. 

 

 

 

 

Photo de la couverture du livre Penser la "pervertibilité" avec Jacques Derrida de Nicholas Cotton.

À propos de l'œuvre

Peut-on seulement penser une éthique de la perversion ? Tout est problématique dans cette question, à commencer par le mot « perversion » lui-même qui ouvre, dès lors qu’on l’évoque, un espace sémantique trouble aux frontières incertaines. L’idée de « pervertibilité », relancée ici dans le sillage du philosophe Jacques Derrida, pourrait bien déjouer ces équivoques.

Au confluent de la littérature, de la philosophie et de la psychanalyse, cet ouvrage s’attache à montrer l’importance de cette notion chez Jacques Derrida et à retracer les moments qui en constituent une sorte d’impensé. À cette fin, l’auteur entreprend une enquête au plus près des textes et de la pensée du philosophe, soutenue par une approche pluridisciplinaire qui permet d’en cerner l’évolution dans la seconde moitié du xx e siècle, tout en respectant l’exigence de complexité et d’inventivité de ce qu’on appelle « déconstruction ». En mettant de l’avant une conception renouvelée du texte littéraire, ce livre ne cherche pas à faire l’apologie de propriétés prétendument subversives de la littérature, mais il contribue à ce que soient mieux compris des dispositifs « pervers » de la pensée philosophique et des gestes concrets d’écriture.

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Notes de l'auteur

L’idée de travailler sur l’œuvre de Derrida remonte sûrement à l’époque où j’écrivais mon mémoire de maîtrise. Au départ, je m’intéressais surtout au XIXe siècle littéraire et je voulais travailler sur Baudelaire et sur ses emprunts à l’écrivain américain Edgar Allan Poe, dont celui de la notion de perversité qui n’avait rien à voir avec ce qu’on entend généralement par ce mot dans la langue commune, ce qui m’intriguait beaucoup. Ayant des études de premier cycle en philosophie et en littérature, j’avais croisé l’œuvre de Jacques Derrida à plusieurs reprises, et par la lunette parfois assez différente de ces deux disciplines. Un cours mémorable exclusivement consacré à Derrida, avec Ginette Michaud qui deviendra éventuellement ma directrice de thèse, acheva de me convaincre que peu importe le sujet de mon mémoire, l’approche devait être « déconstructrice ». J’ai donc suivi ma première idée, mais en la croisant avec une lecture derridienne des œuvres des Baudelaire, ce qui me permettait par ailleurs de poursuivre avec une approche pluridisciplinaire. L’idée de travailler plus précisément sur la « pervertibilité » vient des limites de mon mémoire. D’une part, plus j’avançais dans cette démarche et plus je remarquais que les vocables, expressions, etc. liés à ce qu’on appelle « perversion » ou « perversité » ou « pervers » trahissaient une limite très floue et très subjective chez chaque auteur.trice ou penseur.euse que je côtoyais et que le spectre, disons moral, de ce qu’ils ou elles considèrent en tant que tel était très large. D’autre part, mon mémoire se terminait sur un ensemble de questions plus vastes que celles auxquelles il répondait, notamment parce que Derrida dans les textes que j’avais lus à cette époque ne semblait pas avoir une idée unifiée de ce qu’il entendait lui-même par « pervertibilité ». Pour ma thèse, j’ai donc fait le pari de me lancer dans la tâche colossale d’éplucher l’ensemble de l’œuvre de ce philosophe (plus de 80 titres) afin de répondre à ces questions. Le livre que j’ai publié au PUM est l’aboutissement de cette démarche qui s’inspire largement de ma thèse.  

Bien humblement, je crois que mon livre permet de mieux comprendre la pensée et le style de Jacques Derrida, ainsi que leurs évolutions durant la seconde partie du XXe siècle. Il contribue substantiellement aux travaux actuels en littérature et en philosophie, champs de connaissances et de pratiques auxquels il appartient principalement, mais aussi en psychanalyse et plus généralement à l’histoire des idées. Cette enquête offre plusieurs outils critiques permettant de mieux saisir des textes complexes et des dispositifs d’écriture qui participent au sens d’œuvres exigeantes comme celles de Derrida, mais aussi de Baudelaire, Blanchot, Cixous, Deleuze, Foucault, Freud, Genet, Joyce, Kristeva, Lacan, Kafka, Lyotard, Platon, Poe, Ponge, Proust, Sade, Sollers et Rousseau (pour ne nommer que celles-là). À tout prendre, deux principales raisons m’apparaissent justifier l’importance de ce sujet et de ce livre. D’abord, ce livre est le premier à mettre en évidence la problématique de la « pervertibilité » chez Derrida en parcourant transversalement l’ensemble de son corpus, les archives, les séminaires non publiés et la quasi-totalité des ouvrages critiques en français et en anglais sur le philosophe. Ensuite, ce livre est parmi les rares textes à montrer le travail d’écriture littéraire de Derrida, faisant de cet auteur non seulement un philosophe, mais un « écrivain ». Bref, celui-ci permet de comprendre les rapports entre philosophie et littérature dans la perspective spécifique de la déconstruction.  

Il faut bien comprendre que la déconstruction en général et Derrida en particulier sont souvent tenus à tort pour être iconoclastes, nihilistes, voire dangereux, comme en témoignent de récentes polémiques (janvier 2022). Je m’engage dans ce livre à démanteler patiemment ces présupposés et à faire la preuve que la déconstruction est une démarche nécessaire, affirmative, bienveillante et inventive qui permet au contraire de remettre en question nos certitudes sans les annuler ou les rendre pathétiques. À l’heure du « wokisme » (ou de ce qu’on appelle ainsi pour différentes raisons), des « fausses nouvelles » et de l’éclatement de la notion d’identité, la pensée de Derrida et la déconstruction comme approche critique sont plus que nécessaires pour éviter les pièges de l’idéologie et mieux comprendre les nouvelles approches en sciences humaines. Mon livre peut se voir comme un effort honnête afin de rendre accessible cette pensée complexe et nuancée tout en la réinscrivant dans une histoire et une pratique de la textualité.