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Description
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a publié son premier rapport, qui documente les expériences de plus de 6 000 témoins qui ont survécu à la vie dans les pensionnats indiens en tant qu'étudiant.e.s. Huit ans plus tard, il est important d'évaluer les progrès réalisés et le travail qu'il nous reste à accomplir sur la voie de la Réconciliation.
Pour cet épisode du balado Voir Grand, notre hôte Gabriel Miller est rejoint par Crystal Fraser, professeure adjointe à la Faculté des arts et à la Faculté des études autochtones de l'Université de l'Alberta, pour discuter de la réconciliation en tant que pratique quotidienne.
À propos de l'invitée
Crystal Fraser est professeure adjointe à la Facultué des arts - Département d'histoire, des lettres classiques et de religion - de l'Université de l'Alberta. Professeure Fraser est Gwichyà Gwich'in et originaire d'Inuvik et de Dachan Choo Gę̀hnjik, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Ses recherches doctorales ont porté sur l'histoire des expériences des étudiant.e.s dans les pensionnats indiens de la région d'Inuvik entre 1959 et 1996.
Son travail contribue fortement à la manière dont les savant.e.s abordent les histoires autochtones durant la seconde moitié du vingitième siècle, et à la manière dont le nord du Canada était unique par rapport au reste de la nation colonisatrice.
Crystal Fraser dans les nouvelles
- Les historiens autochtones estiment que l'Église catholique doit faire plus que présenter des excuses - CTV News (en anglais seulement)
- Retrouver et honorer les sépultures anonymes des Autochtones de l'Alberta, un effort "monumental" de plusieurs années - Edmonton Journal (en anglais seulement)
- Laissez les Autochtones s'exprimer autour de l'histoire du Canada - Cabin Radio (en anglais seulement)
- Réflexions sur les pratiques de la Réconciliation - billet de blog pour la Fédération
[00:00:04] Gabriel Miller : Bienvenue au balado Grand Voir où nous discutons avec d'éminent.e.s chercheur.euse.s de leurs travaux sur certaines des questions les plus importantes et les plus intéressantes de notre époque. Je m'appelle Gabriel Miller et je suis le président et chef de la direction de la Fédération des sciences humaines.
[00:00:20] En 2015, la Commission de Vérité et de Réconciliation a publié son rapport final qui documente les expériences de plus de 6 000 témoins ayant survécu.e.s vivre dans les pensionnats autochtones en tant qu'étudiant.e.s. Huit ans plus tard, il est important d'évaluer les progrès réalisés et le travail qu'il nous reste à accomplir sur la voie de la Réconciliation.
[00:00:42] Aujourd'hui, Crystal Fraser, professeure adjointe à la faculté des arts et à la faculté des études autochtones de l'Université de l'Alberta, m'accompagne pour parler de la réconciliation en tant que pratique quotidienne.
[00:00:58] Gabriel Miller : Huit ans se sont écoulés depuis le rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation et en décembre, l'Institut Yellow Head a publié son évaluation annuelle des progrès réalisés par rapport aux appels à l'action. Je voudrais vous lire un petit extrait de ce qu'ils ont dit : "Tout en reconnaissant qu'il y a eu des progrès", ils ont poursuivi en déclarant : "Nous concluons qu'il reste énormément à faire, en particulier dans des domaines tels que la santé, l'éducation, la protection de l'enfance, la justice et les langues autochtones si le Canada espère assumer une véritable responsabilité pour l'héritage génocidaire du système des pensionnats."
[00:01:49] Quelles sont vos réflexions et vos observations sur les progrès réalisés par rapport à l'appel à l'action de la Commission Vérité et Réconciliation sept ans et demi après sa publication?
[00:02:02] Crystal Fraser : Le rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation est réellement une réalisation marquante.
[00:02:11] Ils ont interrogé et recueilli les témoignages de milliers de survivant.e.s. Ils ont tenu le Canada pour responsable du génocide et des injustices historiques. Ils ont également indemnisé les survivant.e.s. Je pense donc que plus nous nous éloignons de la Commission Vérité et Réconciliation, plus je crains que nous ne l'oubliions à l'échelle nationale.
[00:02:49] Nous allons les minimiser, nous n'allons pas accorder une grande priorité aux appels à l'action. Et comme l'Institut Yellowhead en fait état, nous avons vu cela se produire année après année, le nombre d'appels à l'action qui ont été réalisés est choquant, terriblement embarrassant.
[00:03:04] Je pense que les appels à l'action ont été conçus pour engager le gouvernement, pour engager des organisations comme les églises, des organisations de très haut niveau qui n'ont pas nécessairement d'écho auprès des Canadien.ne.s ordinaires. C'est un peu délicat parce que ce sont les humains, ce sont les Canadien.ne.s qui travaillent dans ces organisations, dans ces structures.
[00:03:35] Mais les appels à l'action ne nous disaient pas vraiment comment mettre en œuvre ces choses, ce qui devait changer, mais aussi comment nous devions changer en tant que société. Je pense donc qu'il est un peu normal que nous ayons eu du mal à le faire. En outre, si l'on examine d'autres rapports qui ont marqué un tournant, comme l'enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, on constate que les appels à la justice restent également oubliés ou en suspens, ou qu'ils ne sont tout simplement pas mis en œuvre.
[00:04:11] Je sais aussi que si le public le souhaite, s'il a envie de ce genre de changements systémiques, comme ce que nous avons vu au second semestre 2021 avec une conversation sur les tombes anonymes, parce que nous avons pu mettre en œuvre quelques-uns des 94 appels à l'action après l'annonce faite à Kamloops le 27 mai 2021, que si nous nous y mettons, nous pouvons le faire et le fait que nous ne le fassions pas, que nous refusions de le faire ou que nous donnions la priorité à d'autres choses, je ne suis pas sûr de ce que cela dit de nous.
[00:04:53] Gabriel Miller : Une chose que vous venez de dire me frappe vraiment. Les appels à l'action de la Commission Vérité et Réconciliation - aussi importants, historiques et essentiels qu'ils soient pour progresser - ne nous ont pas dit comment changer en tant que personnes. Et vous avez mentionné le dialogue qui s'est instauré autour des tombes anonymes depuis 2021.
[00:05:19] Quelles sont vos observations sur la manière dont cela a affecté la conversation dans le pays? Avez-vous l'impression que les gens luttent, au niveau individuel, avec ce qui est apparu depuis 2021?
[00:05:37] Crystal Fraser : C'est difficile à dire parce que j'en suis venue à considérer ces conversations comme des moments isolés dans le temps. C'est ainsi que je les appelle. Il y a des événements qui se produisent et qui ébranlent vraiment les fondations de l'État colonisateur du Canada. L'un d'entre eux est l'acquittement de Gerald Stanley.
[00:06:03] L'un d'entre eux serait la conversation autour des tombes anonymes. L'un d'entre eux serait ces pauvres femmes autochtones dans une décharge à l'extérieur de Winnipeg. Nous avons ces conversations très importantes qui ont lieu et qui font la une des journaux, dans les médias. Nous les intégrons dans nos salles de classe et nos universités.
[00:06:33] Les savant.e.s autochtones écrivent des blogs à ce sujet. On a l'impression qu'il s'agit d'une conversation très animée, mais c'est un moment isolé dans le temps. Puis nous passons à autre chose, ou plutôt, le Canada en tant que nation passe à autre chose. Ce que j'ai observé, c'est que, dans le cas des tombes anonymes, c'est la conversation qui devait avoir lieu.
[00:06:59] Si l'on se reporte au rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, on constate qu'il y a tout un volume sur les sépultures anonymes. Ils avaient demandé au gouvernement Harper des fonds supplémentaires pour faire des recherches dans ce domaine, et cela leur a été refusé. Ce n'est donc pas comme si ces conversations n'avaient pas eu lieu, mais c'est le degré de pouvoir social qui leur est accordé.
[00:07:23] Et particulièrement en juin 2021, vous savez ce que j'ai observé, non seulement en tant que savante des pensionnats, mais aussi en tant que survivante intergénérationnelle, c'est un choc extérieur de la part des Canadien.ne.s. Ils se demandent comment cela a pu se produire. Qui sommes-nous? Que faisons-nous de tout cela? Certaines personnes qui y ont réfléchi en profondeur se sont demandé.e : quelle a été la participation de ma famille aux pensionnats?
[00:07:54] Le choc et l'indignation ont duré environ un mois. Puis c'était la fête du Canada et nous avons eu des conversations autour de la Société historique du Canada qui disait qu'il s'agissait en fait d'un génocide. Les historien.ne.s n'ont pas fait un grand travail pour appeler les choses par leur nom, mais nous avons aussi eu des hashtags cancel la fête du Canada.
[00:08:16] J'ai parlé dans les médias du fait que si votre voisin a des funérailles et qu'il est en deuil, vous n'organisez pas de fête. N'est-ce pas? Aujourd'hui, nous assistons à une montée en puissance du négationnisme des pensionnats autochtones.
[00:08:32] Gabriel Miller : Parlons un peu du négationnisme. Quelle en est l'essence selon vous? Pour quelqu'un qui ne suit pas cette conversation d'aussi près que vous ou qui n'a pas votre expertise, que devrait-il savoir sur ce qu'est le négationnisme?
[00:08:48] Crystal Fraser : Daniel Heath Justice et Sean Carlton ont écrit un très bon article dans La Conversation, dans lequel ils soulignent certains points clés de la définition et des exemples. Pour moi, le négationnisme des pensionnats ne signifie pas que l'on ne croit pas que les pensionnats ont existé. Nous disposons de preuves historiques et de documents attestant de l'existence des pensionnats.
[00:09:13] Il s'agit davantage d'un déni des connaissances des survivant.e.s, c'est-à-dire d'un désaccord avec les expériences personnelles vécues dans le cadre du système. Il s'agit également de justifier certaines choses : certains enfants blancs ont fréquenté des pensionnats et n'ont donc pas pu être si mauvais que cela. D'autres choses comme la tuberculose dans les années 1920 était endémique dans de nombreuses communautés, et donc nous devrions minimiser ses impacts et ses préjudices dans les pensionnats.
[00:09:48] Ce ne sont là que quelques exemples. Honnêtement, lorsque nous nous engageons dans ce genre de rhétorique, ce n'est pas nécessairement parce que vous ne croyez pas au savoir autochtone, ou que vous ne croyez pas à la Commission Vérité et Réconciliation ou aux expériences des survivant.e.s. Il s'agit le plus souvent de personnes mal informées.
[00:10:08] D'un autre côté, il y a ce groupe clé d'individus au Canada qui, fondamentalement, nient l'existence des tombes anonymes. Ils ont dit que nous fabriquions des preuves afin d'obtenir plus d'argent ou une sorte de paiement, et je pense donc qu'il y a différents degrés de négationnisme, mais en fin de compte, ils sont tous blessants et nuisibles et plutôt basés sur l'ignorance.
[00:10:40] Gabriel Miller : Quand on pense à votre propre parcours, en tant que femme autochtone, en tant que personne qui a fait des études supérieures, qui a terminé son doctorat, qui a développé une véritable expertise, en particulier dans l'expérience des survivant.e.s des pensionnats, qui a été au centre des discussions autour de ces questions, des initiatives pour essayer de les aborder.
[00:11:01] J'imagine que vous êtes constamment confrontée à des actes qu'une partie de vous ne veut pas croire. Je me demande comment cela s'est passé et comment vous faites pour continuer à faire votre travail d'historienne et de chercheuse face à des vérités que nous préférerions ne pas avoir à découvrir, dans votre cas, sur ce qui est arrivé aux communautés et aux peuples dont vous êtes issue, mais aussi sur ce pays et sur vos concitoyen.ne.s.
[00:11:41] Crystal Fraser : J'ai parfois parlé de ma toute première visite aux archives. C'était à la Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa, et je faisais des recherches sur les pensionnats d'Aklavik, c'est-à-dire les pensionnats autochtones de Immaculate Conception et de All Saints Indian dans les années 1920 et 1930.
[00:12:03] Les premiers documents que j'ai trouvés concernaient les états financiers relatifs à l'argent nécessaire pour creuser les tombes et enterrer les gens. Il est vrai que ces documents étaient liés à la grande mission qui gérait le pensionnat.
[00:12:29] Mais vous savez, c'est ma toute première expérience en 2012, je crois, qui m'a vraiment frappée. J'avais toujours su que les pensionnats étaient terribles. Ma mère et ma grand-mère sont des survivantes, mais nous n'en parlons pas beaucoup dans notre famille. Je pense que c'est assez courant dans les familles autochtones, nous n'en parlons pas.
[00:12:56] De plus, il y a ce stéréotype selon lequel si vous êtes Autochtone, vous avez forcément cette connaissance, ou vous connaissez les pensionnats, ce qui n'est tout simplement pas le cas. C'est pourquoi, lorsque j'ai commencé mon doctorat, je cherchais des réponses. Je voulais savoir pourquoi je ne pouvais pas parler ma langue, je voulais savoir pourquoi il y avait de la consommation de substances dans ma famille.
[00:13:17] Je voulais savoir pourquoi les taux d'incarcération étaient plus élevés chez les Autochtones. À l'époque, on m'avait enseigné que « les historien.ne.s ne doivent pas commencer avec des questions du présent, nos intérêts sont dans le passé », mais pour moi, ce n'était pas le cas. La mort est toujours au premier plan lorsqu'on fait ce genre de travail.
[00:13:40] De plus, lorsque vous travaillez avec des survivant.e.s, et j'ai entendu d'autres personnes le dire, vous entendez une histoire vraiment dérangeante ou graphique et cela vous touche d'une manière que vous ne pouvez pas nécessairement effacer. Mais il y a toujours quelque chose de pire au coin de la rue. Il y a toujours une autre histoire dont vous vous souviendrez un peu plus.
[00:14:11] C'est donc une réalité de la recherche sur le génocide au Canada. Et lorsque nous faisons ce travail, en particulier pour les savants.e autochtones, qui vivent les conséquences désastreuses du colonialisme, il y a tout un niveau supplémentaire de soins personnels et aussi de limites professionnelles que nous devons établir afin de s'assurer que nous pouvons continuer.
[00:14:48] Il y a aussi, vous avez mentionné le négationnisme, les courriers haineux, la violence latérale dans votre discipline de la part d'autres savant.e.s ou historien.ne.s. Il faut aussi prendre soin de soi sur le plan personnel, s'assurer de prendre des vacances, s'assurer d'interagir avec des survivant.e.s, car on ne peut jamais se contenter d'archives de surface, de faits, de statistiques, il faut toujours qu'il y ait un élément de vécu.
[00:15:11] Pour certain.e.s chercheur.euse.s Autochtone, il s'agira de cérémonies, et donc d'exigences et de responsabilités supplémentaires que tou.te.s les autres savant.e.s n'ont pas.
[00:15:27] Gabriel Miller : Tout concept de progrès, tout espoir de faire face au passé à cet égard et de commencer à traiter le terrible héritage de ce passé semble dépendre de notre capacité à documenter la vérité et à permettre aux gens d'apprendre.
[00:15:48] Je voudrais donc parler de votre expérience en tant que chercheur.euse et enseignant.e, en tant qu'instructeur.rice à l'université. J'aimerais commencer par votre expérience d'enseignement dans deux parties différentes de l'université, en études autochtones et en histoire. Je me demandais si vous pouviez nous faire part de vos observations sur les différences et les similitudes de l'enseignement dans ces deux disciplines à l'heure actuelle.
[00:16:15] Et les étudiant.e.s qui sont dans ces classes, le type de conversations, et puis peut-être que nous pouvons parler un peu de ce que cela signifie sur où nous en sommes en termes d'éducation.
[00:16:29] Crystal Fraser : Tout à fait. Je pense qu'à la faculté d'études autochtones, la majorité des étudiant.e.s sont Autochtones, ce qui entraîne des attentes différentes dans la salle de classe.
[00:16:40] Cela m'apporte aussi, honnêtement, un niveau de sécurité et de confort en tant qu'instructrice. Je vais vous donner quelques exemples. J'ai parlé d'une base d'étudiant.e.s majoritairement autochtones, et lorsque j'enseigne les études autochtones, il s'agit principalement d'étudiant.e.s en études autochtones, ce que j'appelle l'histoire autochtone 101 que je dois commencer dans les cours d'histoire canadienne, ils comprennent.
[00:17:10] Souvent, ces connaissances ont duré toute leur vie. Certains d'entre eux vivent dans une réserve, d'autres doivent faire face au fait d’avoir des membres de la famille disparus, d'autres encore luttent contre la consommation de substance. Ils ont donc passé leur vie à chercher des réponses, tout en étant guidés par la communauté, par les ancien.ne.s et par leur culture. C'est donc un point de départ différent qui me permet d'entrer dans la salle de classe, d'entamer une conversation et d'avoir confiance en eux, alors qu'en histoire, ce n'est pas une mauvaise chose, mais la plupart des étudiant.e.s sont des colons.
[00:17:51] Nous devons donc passer un peu plus de temps à expliquer pourquoi c'est important et pourquoi l'histoire du Canada devrait être définie par le colonialisme et le génocide. Ce n'est pas ce chapitre sombre que certain.ne.s historien.ne.s l’ont appelé. En outre, dans les études autochtones, il est parfaitement acceptable et même encouragé d'avoir un programme qui comporte une majorité de savants Autochtones sur la liste de lecture.
[00:18:54] Je ne suis pas sûr que cela soit possible à ce stade pour les historien.ne.s autochtones. Nous sommes de plus en plus nombreux, mais étant donné nos autres obligations envers la communauté et le début de notre carrière, il arrive que nous n'ayons pas encore publié à grande échelle, ce qui constituerait une autre différence. Et enfin, en fait, certaines des critiques que je reçois de la part des étudiant.e.s en études autochtones, c'est qu'ils/elles veulent désespérément une composante sur le terrain.
[00:18:56] Au cours du dernier semestre, j'ai enseigné les connaissances autochtones et les traditions orales, et les étudiant.e.s me demandaient constamment si nous allions sortir pour cela. Comment pouvons-nous parler autour d'un feu? Comment pouvons-nous être sur le terrain? Y aura-t-il des sorties sur le terrain, car vous parlez du savoir autochtone, qui est défini par la terre, n'est-ce pas?
[00:19:19] Dans les cours d'histoire, ce désir, ce lien, même si la terre est également au cœur du colonialisme, n'est jamais abordé de la même manière. L'attente n'est pas là.
[00:19:35] Gabriel Miller : Parlons du travail qui doit être fait, et commençons par parler un peu des 150 actes de réconciliation. Qu'est-ce que c'est que cette idée et qu'est-ce qu'il est important que les gens sachent?
[00:19:53] Crystal Fraser : Donc, 150 actes de réconciliation, coécrit avec Sarah Komarnisky était un produit de Canada 150. Comme beaucoup d'idées, il suffit d'être suffisamment en colère contre quelque chose pour que cela devienne productif. Cela a commencé avec la campagne Canada 150 que j'entendais à la radio, les publicités pour des pansements chez Shoppers Drug Mart qui portaient l'inscription Canada 150, et j'ai pensé à la célébration non critique de 150 ans de colonialisme.
[00:20:26] Je me suis demandé ce que j'aimerais que les Canadien.ne.s sachent ou puissent faire pour m'aider à miner ces conversations. J'ai donc commencé à dresser une liste, puis j'ai associé Sarah au projet - elle est Canadienne d'origine ukrainienne - et nous nous sommes demandé si nous pouvions dresser une liste de 150 idées que les Canadien.ne.s de tous les jours, ces mêmes Canadien.ne.s qui travaillent au gouvernement, dans les églises et qui sont enseignant.e.s, pourraient mettre en pratique dans leur vie de tous les jours.
[00:20:55] Et si nous faisions une liste qui résonne avec les gens de tous les jours, que vous pourriez faire avec vos enfants et à laquelle vous pourriez penser à la salle de sport ou chez Costco? À cette époque, nous commencions également à considérer les 94 appels à l'action comme assez techniques.
[00:21:10] Nous avons donc publié cette liste. Et son numéro un est « apprendre la déclaration de reconnaissance de la terre », donc la centralité de la terre. Le numéro 150 est « ne vous arrêtez pas là, continuez à enrichir cette liste. » Au cours des dernières années, nous avons vu 150 actes remporter des prix, nous avons travaillé avec l'artiste de la Première nation de Little Salmon, Lianne Charlie, sur des affiches.
[00:21:36] Ces affiches financent une bourse d'études à l'Université de l'Alberta pour les étudiant.e.s autochtones. Nous avons vu la liste de l'histoire active recevoir plus de 125 000 visites uniques. Dans le mois qui a suivi la publication de cette liste, quelqu'un a réussi à faire flotter des drapeaux autochtones devant l'hôtel de ville d'une ville de l'Ontario. Nous avons donc constaté des résultats très concrets dans la société, dans les salles de classe, dans la vie des colons et des Autochtones, et nous sommes très reconnaissant.e.s que ce travail continue d'avoir un écho.
[00:22:15] Gabriel Miller : En pensant à certaines des choses dont vous avez parlé, votre inquiétude sur le fait que chaque année, le pouvoir du rapport de la Commission Vérité et Réconciliation risque de s'estomper dans nos esprits, qu'il y a une tentation constante de, euh, vivre cela par moments isolés dans le temps et que l'histoire du jour, de la semaine ou du mois arrive et s'en va, et que le projet plus large s'estompe dans nos esprits.
[00:22:42] Mais aussi en tant que personne si directement impliquée dans la réponse aux préoccupations et dans la documentation de la vérité sur ce qui s'est passé dans les pensionnats, et particulièrement aujourd'hui autour des tombes anonymes. Si vous êtes assise à côté du Premier Ministre sur un vol à travers le pays ou peut-être à côté du chef de file de l'opposition officielle, et que l'on vous demande « Professeure Fraser, que devons-nous faire? Qu'est-ce qui ne va pas? Que devons-nous changer? » Que pensez-vous avoir envie de leur répondre ?
[00:23:19] Crystal Fraser : Wow, c'est une grande question. D'après ce que j'ai compris, la version moderne du ministère des Affaires indiennes a accumulé un énorme retard dans les affaires de traités, les revendications territoriales et les conversations autour des traités modernes, comme nous les appelons aujourd'hui.
[00:23:38] La centralité de la terre et la collaboration avec les gouvernements et les organisations des Premières nations, ainsi qu'avec la nation métisse et les communautés inuites, je pense que tout cela est très important. Donc, premièrement, la centralité de la terre et les conversations que nous pouvons avoir à ce sujet, y compris l'exploitation des ressources, etc.
[00:24:00] Deuxièmement, la fameuse loi sur les Indiens, qui continue à légiférer sur les Autochtones aujourd'hui. Elle a été adoptée en 1876 dans le but de consolider l'ensemble de la législation sur les Indiens, et nous sommes toujours coincés avec elle aujourd'hui. Ma grand-mère a épousé un Blanc d'Angleterre, elle a perdu son statut d'Autochtone et avec cela, vous perdez le droit d'être enterré dans votre communauté, vous perdez le droit à toutes sortes d'implications culturelles.
[00:24:34] Cette décision a été annulée par la suite et ma mère a pu récupérer son statut, tout comme moi, mais la loi sur les Indiens comporte encore des inégalités entre les sexes. Ma fille ne peut pas être reconnue officiellement comme une personne Autochtone au Canada, même si mon propre gouvernement la reconnaît.
[00:24:52] Je veux dire que la Loi sur les Indiens est responsable de beaucoup de choses différentes, mais je pense que ces deux choses sont la terre et la Loi sur les Indiens, et dans ce cadre central de la décolonisation, ce n'est pas une métaphore.
[00:25:07] Gabriel Miller : Pour ce qui est de la question portant spécifiquement sur le travail à venir concernant les enfants qui ont disparu, qui ont disparu des pensionnats, des milliers d'entre eux, vous avez parlé, il me semble, d'un projet qui est beaucoup plus profond et probablement plus durable que beaucoup de décisions, de décideur.euse.s, beaucoup de politicien.ne.s ne le réalisent.
[00:25:32] Pourquoi est-il important que le travail soit fait avec le temps, l'attention aux détails et la patience nécessaires pour le faire, pourquoi pensez-vous que c'est si important?
[00:25:46] Crystal Fraser : Nous travaillons avec des communautés autochtones avec des survivant.e.s qui savent depuis des décennies que leurs enfants, leurs frères et sœurs, leurs proches, ont disparu ou sont morts alors qu'ils/elles étaient institutionnalisés.
[00:26:00] Et c'est là une partie de la frustration de 2021, pas seulement à cause des gros titres médiatiques de la découverte. Nous le savions déjà, mais personne ne nous écoutait, mais certaines possibilités de financement à différents niveaux de gouvernement exigeaient que les fonds soient dépensés avant un certain jour, et le processus ne fonctionnait pas de cette manière.
[00:26:21] Bien sûr, nous pouvons demander des fonds, mais si nous voulons faire ce travail de la bonne manière, qui donnera aux chercheur.euse.s le temps de travailler dans les archives. J'ai estimé que pour un pensionnat, une analyse complète des archives pourrait prendre de trois à cinq ans. Il faut aussi travailler avec d'autres types d'expert.e.s pour effectuer des recherches dans le sol ou dans l'eau, par exemple des médecins légistes, des médecins militaires, des services de police, mais en outre, ce travail doit être guidé par la communauté, ce qui signifie aussi qu'il faut participer à des cérémonies.
[00:27:01] Cela signifie qu'il faut travailler avec des personnes qui peuvent avoir des processus de guérison culturellement informés, une compétence culturelle en matière de traumatisme. Cela signifie également qu'il faut faire ce travail en temps opportun, car chaque jour, nous perdons des survivant.e.s. Ces trois composantes, je pense, commencer par le savoir autochtone, puis passer aux recherches dans les archives, et enfin aux recherches sur le terrain ou physiques qui peuvent prendre plusieurs décennies.
[00:27:38] Tout le monde ne veut pas l'entendre, et certaines communautés se sont senties tellement sous pression qu'elles ont commencé par faire des recherches sur le terrain. Ainsi, elles peuvent avoir accès à ces ressources. Mais il y a aussi d'autres communautés qui, deux ans plus tard, sont loin d'être prêtes à faire une demande de financement parce qu'elles sont encore en train de discuter avec leur population.
[00:27:58] Ils essaient encore de déterminer, premièrement, si c'est un processus dans lequel nous voulons nous engager et pour quoi faire? Et deuxièmement, comment procéder? Quel type d'objectifs voulons-nous atteindre? Voulons-nous simplement connaître les noms? Voulons-nous connaître les circonstances de la mort de certaines personnes disparues ou décédées?
[00:28:19] Voulons-nous nous engager dans un processus de commémoration ou de souvenir, ou voulons-nous réellement seulement retirer physiquement les restes de la terre et travailler avec des échantillons d'ADN? Je pense que ces discussions sont toujours d'actualité et que la clé est la patience.
[00:28:42] Je pense à Murray Sinclair, ancien commissaire de la Commission Vérité et Réconciliation, qui a dit qu'il nous avait fallu plusieurs générations pour nous mettre dans ce pétrin, et que c'est le temps qu'il nous faut pour essayer de nous en sortir.
[00:29:02] Gabriel Miller : Merci d'avoir écouté le balado Voir Grand et mon invitée, Crystal Fraser, professeure adjointe à l'Université de l'Alberta. Je tiens également à remercier nos amis et partenaires du Conseil de recherches en sciences humaines, dont le soutien permet de rendre ce balado possible.
[00:29:17] Enfin, merci à CitedMedia pour son soutien dans la production du balado Voir Grand. Dites-nous ce que vous avez pensé de cet épisode et partagez vos commentaires avec nous sur les médias sociaux. Suivez-nous pour plus d'épisodes sur Spotify, Apple Podcast et Google Podcast. À la prochaine !