Nous collectons, nous analysons et nous exploitons des données. Elles gouvernent tous les aspects de notre vie. Mais qu’en est-il lorsqu’elles racontent une histoire à propos de nous que nous n’avons pas écrite? Qui en devient l’auteur? Qui en détient les droits?
Quand les données deviennent une monnaie d’échange, qui contrôle le récit?
Ces questions sont au cœur de la souveraineté des données autochtones, des questions qui déconstruisent les architectures coloniales du pouvoir et de la propriété.
Rien sur nous sans nous
Aujourd’hui, les gardiennes et les gardiens du savoir autochtones reprennent possession de leurs histoires en présentant un nouvel appel à l’action.
Selon les principes de l’approche Rien sur nous sans nous, aucune décision ne doit être prise sans la participation et le consentement du groupe concerné. Il s’agit d’une réponse à un système qui a longtemps marginalisé les voix autochtones. On tient à s’assurer que les traditions, les connaissances et les valeurs sont non seulement respectées, mais aussi intégrées au processus décisionnel.
Moneca Sinclaire, Ph. D., contribue à ce changement historique.
Membre de la Nation crie Opaskwayak et chercheuse postdoctorale à l’Université du Manitoba, elle a participé à la création de Our Data Indigenous, une application novatrice qui aide les communautés des Premières Nations à conserver la propriété de leurs données.
« En raison du passé, bon nombre de chefs et de membres de conseils se posent des questions sur la propriété des données et l’usage qui en sera fait. Une grande part de notre rôle consiste à assurer aux communautés que nous faisons de la recherche différemment, non pas selon une perspective occidentale, mais de la recherche pour les populations autochtones et par les populations autochtones », affirme Moneca Sinclaire.
Unique en son genre, l’application est née d’un projet de recherche qui visait à créer un outil de collecte des données pour les communautés des Premières Nations touchées de manière disproportionnée par la pandémie de COVID-19.
Cette recherche interdisciplinaire a été appuyée par Mitacs qui, l’année dernière, a octroyé des bourses à la chercheuse autochtone dans le cadre de deux cycles de financement, l’offre la plus généreuse dans toute l’histoire de Mitacs.
Priorité à l’expérience vécue
Dans cette ère de transformation numérique, des recherches comme celle-ci mettent en lumière les barrières systémiques auxquelles sont confrontés, encore aujourd’hui, les groupes sous-représentés. Pendant bien trop longtemps, l’histoire orale a été éclipsée par le concept occidental d’archivage, un mot qui vient du « [grec] archon, chef d’État ».
Dans son essai canonique (en anglais seulement), la théoricienne de la performance Rebecca Schneider explique comment l’histoire est validée lorsqu’elle se matérialise par des écrits, des objets et des documents. Toutefois, cette « logique d’archivage » ignore les rituels et la mémoire pour imposer une hiérarchie culturelle dominée par les Blancs.
Mais ce temps est révolu.
Our Data Indigenous met un terme à ce biais historique en replaçant l’expérience vécue au premier plan de l’innovation sociale. À titre de coordonnatrice de proximité, Moneca Sinclaire a exploré les données à travers le prisme de l’histoire autochtone, en adaptant ce projet de pointe pour répondre aux besoins et priorités uniques des communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
Elle a également offert de la formation à l’analyse de données basée sur les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession. Les renseignements collectés peuvent ainsi être utilisés par les leaders autochtones au-delà du contexte de la pandémie en vue d’améliorer le processus décisionnel à l’échelle locale.
Le pouvoir de la collaboration
À l’origine, l’application Our Data Indigenous a été développée en partenariat avec le consultant en logiciels indépendant basé à Los Angeles Craig Dietrich, Integral Ecology Group (IEG) et Shanna Lorenz, Ph. D. Moneca Sinclaire attribue la réussite de cette collaboration à Mitacs, en particulier pour avoir trouvé l’organisation partenaire idéale.
« Parfois, quand on travaille avec des gens du milieu des affaires, ils ont leurs propres objectifs. Avec IEG, nous avons trouvé un partenaire qui comprend réellement que ce que nous essayons de faire, c’est d’offrir de l’autonomie aux gens. L’entreprise a vraiment soutenu notre travail en posant des questions différemment, de façon cohérente par rapport à ce qu’on tente de faire. C’était rafraîchissant par rapport à ce à quoi j’ai été habituée durant ma carrière », explique-t-elle.
Aujourd’hui, l’application fait bien plus qu’apporter un soutien face à la COVID-19.
Elle collecte des données de sondage en temps réel dans le cadre d’un éventail d’initiatives communautaires, y compris la revitalisation de la langue et de la culture, l’apprentissage sur le terrain ainsi que la santé et le bien-être. En plus de cela, elle aide les communautés autochtones à prendre des décisions éclairées et à protéger la souveraineté de leurs données.
« Plusieurs communautés sont toujours aux prises avec des inondations, un manque d’eau courante ou des taux élevés de suicide chez les jeunes. Maintenant que nous avons un outil qui leur permet de se demander ce qu’elles peuvent faire pour y remédier, j’ai espoir que les choses commencent à changer », se réjouit la chercheuse.
La précieuse contribution de Moneca Sinclaire lui a valu le Prix Mitacs pour innovation exceptionnelle — autochtone.
Grâce à sa perspective unique, l’application Our Data Indigenous est maintenant utilisée par neuf communautés autochtones au Manitoba et en Colombie-Britannique, ainsi qu’à Porto Rico et bientôt en Équateur.
Afin de rendre l’innovation plus inclusive, l’initiative Parcours autochtones de Mitacs prend en charge jusqu’à 75 % du financement d’un projet réalisé en collaboration avec un étudiant, une étudiante ou une organisation partenaire autochtone.
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Pour en savoir plus, écrivez à indigenous@mitacs.ca.