Christine Tausig Ford, directrice générale par intérim, Fédération des sciences humaines
Cela fait quelques semaines que je suis devenue directrice générale par intérim de la Fédération, et chaque jour, quelque chose vient me rappeler pourquoi je crois passionnément en la valeur de l’enseignement, de l’érudition et de la recherche en sciences humaines.
Récemment, à la suggestion de Julia Wright, membre du conseil d’administration de la Fédération et professeure d’anglais à la University of Dalhousie, j’ai pris le temps de relire l’ouvrage de Percy Bysshe Shelley intitulé Défense de la poésie. J’ai trouvé ce célèbre essai beaucoup plus éloquent aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, quand j’étais étudiante de premier cycle en littérature anglaise au Trinity College de la University of Toronto. À l’époque, je ne comprenais pas vraiment que la poésie avait besoin d’être défendue et qu’un diplôme en arts libéraux pourrait un jour être perçu comme peu utile, voire comme futile.
Bon nombre de détracteurs des sciences humaines auraient avantage à revisiter cette fervente défense de la poésie, où Shelley décrit la poésie comme « l’expression de l’imagination ». Si Shelley parle des plaisirs associés à la lecture de la poésie, il aborde aussi la valeur de la poésie en des termes qui résonnent encore aujourd’hui. Les poètes, écrit-il, « sont non seulement les créateurs du langage et de la musique, de la danse, de l’architecture, de la statuaire et de la peinture; ils sont encore les fondateurs des lois et de la société civile, les inventeurs des arts de la vie, et les maîtres enseignants … ».
À l’instar de la poésie, les sciences humaines dans leur ensemble nous enseignent ce que c’est que d’appartenir à la condition humaine. Elles nous apprennent à penser de manière créative, à remettre en question et à nous demander pourquoi. Les sciences humaines nous mettent en contact avec des cultures et des perspectives différentes. Grâce aux sciences humaines, nous apprenons qui nous sommes, d’où nous venons et où nous pouvons penser pouvoir aller.
Les sciences humaines sont au cœur de l’éducation dans les arts libéraux. Nombreux sont ceux qui, à l’échelle de la planète, commencent à mieux comprendre pourquoi les sciences humaines revêtent une telle importance dans notre vie actuelle. (Après avoir obtenu mon diplôme de premier cycle en anglais, j’ai fait un programme d’un an en journalisme à Carleton University, ce qui m’a permis de tirer de précieux enseignements des disciplines des sciences sociales et de compléter ainsi ma vision globale du monde.)
Je demeure aujourd’hui une ardente partisane des sciences humaines. En cela, je ne suis pas seule.
Dans un récent article sur la façon de décrocher un emploi chez Google, Thomas Friedman, du New York Times, a écrit que « vous avez besoin de gens qui sont des penseurs holistiques et ont une culture ancrée dans les arts libéraux, tout comme vous avez besoin de gens qui sont des experts très spécialisés ». En d’autres termes, les employeurs ont besoin non seulement des STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) mais aussi des STIMA (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques et arts).
Cette année, dans une étude menée auprès des plus grands employeurs du Canada, des dirigeants d’entreprise ont indiqué être à la recherche de « compétences générales » quand ils recrutent des travailleurs de premier échelon. Il pourra s’agir par exemple de compétences liées au développement de relations, à la communication, à la résolution de problèmes, à l’analyse et au leadership. Cela correspond précisément aux compétences qu’apporte une éducation en sciences humaines.
L’éditorial du numéro du 1er octobre 2016 de la revue Scientific American signalait que les écoles devront enseigner à la fois la théorie musicale et la théorie des cordes pour que les États-Unis restent un chef de file dans le domaine de l’innovation technologique. L’éditorial précisait que « promouvoir les sciences et la technologie au détriment des sciences humaines … est un choix très mal avisé. L’étude des interactions entre les gènes ou la participation à un projet de développement d’un logiciel pour automobiles autonomes ne devrait pas avoir pour effet de reléguer à la marge l’étude des grands classiques ou de l’histoire de l’art. »
Il y a cinq ans, j’ai été invitée à prendre la parole à l’occasion d’un forum sur les arts libéraux tenu à Pékin, en Chine. Organisé par Robert Campbell, recteur de la Mount Allison University, ce forum a rassemblé des universitaires et des chefs de file canadiens en vue de l’échange d’idées avec des université chinoises concernant la façon d’inculquer aux étudiants chinois les compétences en arts libéraux dont ils auront besoin dans un monde à forte intensité de savoir.
Les universités chinoises nous avaient invités à présenter nos idées concernant les expériences scolaires et parascolaires dans le domaine des arts libéraux parce que les Chinois, considérés par beaucoup à l’époque comme étant concentrés sur les disciplines STIM, avaient conclu à la nécessité d’offrir leurs étudiants du premier cycle d’une éducation étendue. Qui plus est, les administrateurs des universités chinoises reconnaissaient le Canada et ses universités comme des chefs de file dans la prestation de programmes de premier cycle innovateurs. Comme les rédacteurs de la revue Scientific American, les fonctionnaires chinois voulaient s’assurer que les étudiants sortant de leurs établissements soient versés dans la poésie, la musique et la philosophie aussi bien que dans la théorie des cordes.
Je pense que Percy Bysshe Shelley aurait approuvé cela.