Nathalie Des Rosiers, Université d’Ottawa
Partout dans le monde, on s’efforce d’inventer des solutions juridiques pour mettre fin au terrorisme. Le Canda ne fait pas exception : un projet de loi propose des détentions préventives, un partage d’information entre agences et un mandat au service de renseignements « d’agir » pour prévenir des attaques. Le public est prêt à accepter ces mesures sans précédent parce qu’ils ont peur de ces attaques féroces imprévisibles qu’on voit sur YouTube et à la télé.
La violence faite aux femmes, la disparition ou le meurtre d’une centaine de femmes autochtones ne suscitent pas le même engagement politique. À l'occasion de la Journée internationale de la femme célébrée le 8 mars, il est pertinent de se demander pourquoi.
Dans un discours percutant après les événements du 11 septembre 2001, la professeure Maureen Maloney décrivait la violence faite aux femmes comme une menace terroriste constante, invisible et inéluctable. On ne la voit plus parce qu’elle est normalisée. On ne s’en préoccupe pas, ou très peu, parce qu’on continue d’y voir un crime individuel et non un phénomène social. On se souviendra que c’est précisément de cette façon que le Premier Ministre Harper a répondu à la demande pour une commission d’enquête sur la disparition des femmes autochtones : il n’y voyait rien d’autre que des crimes. Depuis, la réponse a été de déployer des ressources d’enquêtes policières, entre autres, une banque d’ADN, pour résoudre ces « crimes ».
Selon le gouvernement, le terrorisme, au contraire, requiert une réponse extraordinaire, passant outre aux libertés civiles ou de la présomption d’innocence et protection de la vie privée. Loin de moi l’idée de recommander que la prévention de la lutte contre la violence faite aux femmes devrait passer par l’élimination des libertés individuelles, mais bien de souligner combien les approches sont différentes.
Au minimum, on pourrait penser que les investissements dans les programmes de « dé-radicalisation » devraient avoir leur pendant en matière de « ré-éducation » non-sexiste et que les programmes communautaires pour prévenir l’adhésion à des mouvements extrémistes devraient être accompagnés d’initiatives destinées à empêcher la violence faite aux femmes.
Les chiffres sont là : statistiquement, les femmes sont plus susceptibles d’être violentées physiquement ou sexuellement qu’un individu soit tué par un terroriste. Il ne faut pas minimiser la menace terroriste, et les souffrances et la peur qui l’accompagnent, mais il nous reconnaître que la violence terrorise des millions de femmes partout dans le monde. C’est une violence qu’il faut contrer directement et ne pas rendre invisible.
Nathalie Des Rosiers est doyenne de la Faculté de droit, Section de common law à l’Université d’Ottawa et était l’avocate principale et directrice exécutive de l’Association canadienne des libertés civiles. Elle a été la présidente de la Fédération des sciences humaines, du Conseil des doyens et doyennes de droit du Canada, de l’AJEFO et de l’Association canadienne des professeurs et professeures de droit.