Un certain niveau de risque est inhérent à tout milieu de travail, mais la COVID-19 a fait naître un tout nouveau type de menace. Comment ces risques sont-ils répartis au sein de la population active? Certains groupes sont-ils injustement pénalisés par leur risque d'infection ou par les effets négatifs des mesures de confinement? Les chercheurs canadiens examinent attentivement les conséquences de la pandémie sur la main-d'œuvre actuelle.
À l'Institut national de la recherche scientifique, le professeur Xavier St-Denis examine les déterminants sociodémographiques du risque professionnel d'exposition à la COVID-19 sur le milieu de travail. En raison de lacunes importantes dans les données relatives à la COVID-19 à l'échelle nationale, en particulier les données sur la population qui permettraient de comparer les cas selon le sexe, la race, le niveau de revenu, entre autres, M. St-Denis a entrepris de brosser un tableau plus complet du risque d'exposition à la COVID-19 sur le lieu de travail.
Le lieu de transmission de chaque cas de COVID-19 est difficile à déterminer, ce qui signifie que nous ne disposons pas de données sur les transmissions qui ont lieu au travail, contrairement à celles qui ont lieu pendant les temps libres des employés. Pour compliquer encore plus les choses, les données épidémiologiques dont nous disposons sont affectées par les mesures de confinement adoptées jusqu'ici. Dans son ensemble, le risque d'exposition professionnelle est difficile à mesurer.
« Il est possible que les données épidémiologiques ne nous donnent pas une vue d'ensemble » en ce qui concerne les risques d'infection à la COVID-19 au travail, a suggéré M. St-Denis en parlant de ses recherches à la Fédération. Il a expliqué qu'il cherche à estimer le niveau de risque en utilisant d'autres ensembles de données; l'une de ces sources étant les bases de données des classifications professionnelles, en particulier la base de données américaine O*NET des caractéristiques professionnelles. Deux facteurs, pris ensemble, peuvent indiquer le risque probable d'exposition à la COVID-19 dans un emploi donné :
- Le niveau de proximité physique requis avec d'autres personnes
- La fréquence d'exposition aux infections ou maladies
Tout comme des secteurs particuliers tels que le tourisme, les services de restauration, les voyages aériens et le commerce de détail ont été touchés de manière disproportionnée par les retombées économiques de la pandémie, de nombreux groupes sociodémographiques sont confrontés à un risque plus important de contagion lorsqu'ils vont travailler en raison des différences dans le type de professions que ces groupes ont tendance à exercer. En combinant les données sur les caractéristiques des emplois provenant d'O*NET au système de Classification nationale des professions et en créant une cote de risque pour chaque profession, M. St-Denis pourrait par la suite appliquer les données démographiques de Statistique Canada pour dresser un portrait détaillé des personnes les plus à risque d'être exposées à la COVID-19 au travail.
Ses conclusions ont été publiées dans la Revue canadienne de sociologie, et décrivent une « répartition inégale des caractéristiques professionnelles associées à un risque élevé d'exposition à la COVID-19 », ce qui signifie que certains groupes sociodémographiques sont surreprésentés dans les emplois qui les exposent à un risque plus élevé de contracter la COVID-19.
Les différences de risque d'exposition selon le sexe sont importantes, en grande partie en raison de la représentation accrue des femmes dans des professions telles que les soins de santé, l'éducation, le travail social et communautaire, caractérisées par un niveau élevé de proximité physique. Les jeunes travailleurs, âgés de 15 à 24 ans, semblent constituer le groupe d'âge présentant le niveau de risque professionnel le plus élevé. Et bien que les travailleurs de plus de 65 ans puissent constituer un groupe particulièrement à risque d'avoir des résultats de santé moins bons à la suite d'une infection à la COVID-19, les travailleurs de cette tranche d'âge n'ont pas tendance à exercer des professions présentant des risques d'exposition sensiblement différents des autres.
Les travailleurs à faibles revenus sont particulièrement susceptibles d'être confrontés à des risques d'exposition professionnelle importants. Les professions à faible revenu sont plus susceptibles de faire partie des premiers 50 % des deux mesures de risque – le degré de proximité physique et la fréquence des interactions. Cette tendance est particulièrement évidente pour ce qui est des femmes, des immigrants et des travailleurs appartenant à une minorité visible. Les travailleurs autochtones sont également confrontés à des risques plus importants d'exposition professionnelle, obtenant des cotes plus élevées sur les deux échelles de risque par rapport aux Canadiens non autochtones.
Les conclusions de M. St-Denis montrent que les disparités socioéconomiques ainsi que les dynamiques liées au sexe et à l'éducation qui influent sur les parcours professionnels sont des facteurs importants de disparités dans les résultats liés à la santé au travail. Alors que nous continuons à imaginer de nouvelles façons d'exercer notre métier en pleine pandémie, les décideurs politiques feraient bien de garder à l'esprit ces « dimensions de l'inégalité liées à la santé ».
Même les travailleurs qui effectuent leurs tâches à distance, et qui sont actuellement confrontés à moins de risques directs pour leur santé, font quand même face à des difficultés en raison de l'isolement, de la connectivité constante et des contraintes familiales. La professeure Julie Dextras-Gauthier, avec ses collègues Caroline Biron et Marie-Hélène Gilbert de l'Université Laval, a mené une enquête auprès des travailleurs de partout au Québec pour en savoir plus sur leurs problèmes de santé mentale.
Les résultats ont été remarquables. Avant la pandémie, 28 % des travailleurs ont déclaré avoir des problèmes de santé mentale, selon l'Enquête québécoise sur la santé de la population, 2014-2015. Interrogés sur leurs vécus depuis l'entrée en vigueur des mesures de confinement, près de la moitié des répondants (48 %) ont fait état d'une augmentation de la détresse mentale. L'écart entre les sexes dans ces résultats s'est creusé de six points de pourcentage par rapport aux enquêtes précédentes, 40,6 % des hommes et 55,5 % des femmes ayant déclaré avoir un niveau élevé de détresse mentale après le début de la pandémie.
De nombreux répondants ont fait état d'une augmentation importante du travail à distance, et 38 % des travailleurs faisant exclusivement du télétravail. Des effets positifs et négatifs ont été signalés concernant cette tendance. Si les travailleurs apprécient le fait de bénéficier d'une plus grande flexibilité dans leurs horaires, de moins se déplacer et de réduire leurs dépenses, ils ont également fait état de difficultés de concentration et d'automotivation, de moins d'interactions sociales avec leurs collègues et de problèmes plus concrets tels qu'un espace de travail non ergonomique et une technologie déficiente.
Un des principaux problèmes qui affectent la santé mentale des travailleurs est que le détachement psychologique, c'est-à-dire la capacité de se détacher de ses activités professionnelles, est devenu de plus en plus difficile, et le travail à distance semble aggraver cette situation. Près de 75 % des télétravailleurs ont déclaré avoir travaillé plus d'heures que d'habitude pendant la pandémie, contre 25 % seulement des travailleurs sur place.
Julie Dextras-Gauthier a expliqué que les gestionnaires sont confrontés à des difficultés particulières, car ils essaient de soutenir leurs équipes tout en gérant leur propre augmentation de stress et d'anxiété. Les gestionnaires d'hôpitaux, en particulier, ont décrit leur sentiment d'être « pris en sandwich » entre les directives des hauts dirigeants et des autorités de santé publique, et les réalités de ce qui est faisable au milieu des contraintes en matière de ressources et des pénuries de personnel.
C'est l'omniprésence des effets négatifs sur la santé mentale des travailleurs pendant la COVID-19 qui a le plus surpris Mme Dextras-Gauthier. Quel que soit leur lieu de travail ou leur niveau hiérarchique, la pandémie a aggravé le stress et l'anxiété de tous les salariés. « C'était le cas de tout le monde », a déclaré Julie Dextras-Gauthier, en soulignant l'augmentation de la détresse mentale signalée par les répondants.
La bonne nouvelle, c'est que les organisations peuvent prendre des mesures pour réduire le stress supplémentaire auquel sont confrontés les travailleurs, en particulier ceux qui travaillent à domicile. Les chercheurs recommandent aux gestionnaires :
- de réduire le stress lié à la technologie en clarifiant les attentes en matière de disponibilité et de charge de travail (c.-à-d. en créant des politiques claires sur l'envoi de messages en dehors des heures de travail), et faire preuve de souplesse dans la mesure du possible;
- d'offrir des ressources, telles que des formations sur l'utilisation saine de la technologie;
- de comprendre le rôle que la culture organisationnelle joue dans le bien-être des employés et d'aider les gestionnaires à assurer une communication permanente avec leur personnel.
De nombreux travailleurs, en raison de leur sexe ou de leur position socio-économique, courent un risque excessif d'exposition à la COVID-19. Il est essentiel que les décideurs politiques donnent la priorité à la sécurité de ces travailleurs. Ils doivent également se rendre compte que les effets de la COVID-19 sur la santé mentale sont largement répandus dans tous les secteurs économiques. Les étapes ultérieures de ces projets de recherche, et de nombreux autres au sein du réseau de la Fédération, continueront à clarifier les répercussions de la pandémie sur les travailleurs individuels et la main-d'œuvre en général à mesure que celle-ci progresse.