L’année 2019 s’est refermée sur une crise sanitaire d’ampleur mondiale qui augure des lendemains sombres du premier semestre 2020. En effet, commencée dans la Wuhan comme épidémie le 17 Novembre 2019, le coronavirus deviendra très vite une pandémie compte tenu de son expansion rapide sur tous les continents. Entre autres mesures prises pour endiguer ce fléau jusqu’ici sans remède, figure le confinement des habitants en vue de stopper la chaîne de contamination. L’Afrique, un des cinq continents, n’en est pas épargné. Le Congo-Brazzaville en Afrique centrale, au pire de sa crise économique vit une nouvelle crise : la pandémie dite COVID-19. Au regard des mesures prises sur ce continent, plusieurs interrogations méritent d’être soulevées. Ces mesures valaient-elles la peine d’être prises ?
1- Le confinement comme mesure exutoire du coronavirus.
Achile MBEMBE[1], évoquant la crise sanitaire du coronavirus, note avec précision : « Si guerre il doit y avoir, ce doit être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui sur la longue durée du capitalisme, aura confiné des races entières à une respiration difficile, à une vie pesante »[2]. L’Afrique bat le record des épidémies et pandémies qui déséquilibrent son système sanitaire et même social.
La crise dûe au COVID-19 a certes exigé le confinement comme mesure sanitaire en Afrique pour endiguer sa croissance exponentielle, mais la brutalité de son application et le couvre-feu dont il a été ponctué a révélé un agenda caché à diverses facettes. Lourdement endettés, cette crise est apparue comme une aubaine aux États afin de plaider auprès des bailleurs internationaux pour une aide d’urgence. D’où le sens de cette interpellation adressée aux politiques africains par Wole Soyinka : « Faisons en sorte que tout cela[3] ne soit pas encore un gâchis, tirons quelque chose de positif de ce désordre universel[4](…) cette pandémie est une tempête tectonique »[5].
La crise sanitaire exerce une pression importante à court terme sur l’économie congolaise. La croissance devrait s’inscrire en baisse de -9% contre +1,2% prévue initialement, tiré par la chute de l’activité pétrolière et l’effondrement de l’activité hors pétrole, a conclu une enquête menée par certains experts d’Afrique Centrale[6].
Face au ralentissement économique et à la chute des recettes, le Congo a adopté le 1er mai, une loi de finances rectificatives faisant état de ressources en contraction -1,2% prévues de plus de moitié (-50,2) en raison d’une dégradation de recettes pétrolières et d’une augmentation des dépenses de 12% expliqués par la forte augmentation des investissements (+50,3%) affectés à la réponse sanitaire et socio-économique face à la crise.
2- Confiner pour mieux régner.
Cette pandémie « remet en cause un certain nombre d’idées qui s’étaient installées. Elle relance notamment la réflexion sur le rôle de l’État, sans l’intervention duquel des pans entiers des économies seraient en train de s’effondrer » note MAMOUDOU Gazibo[7]. Le Congo aurait-il profité de la crise sanitaire suite à la pandémie du COVID-19 pour mettre à exécution leur agenda politique caché? Tout bien calculé, le gouvernement congolais a délivré un Arrêté instituant l’organisation du recensement général de la population dans le courant du mois d’avril pendant lequel la population est confinée.
Par ailleurs, la mouvance présidentielle s’organise pour assurer la réélection de son candidat. Si les pouvoirs publics se souciaient tant de la santé des populations, le confinement partiel aurait suffi.
3- Le confinement : malaise social explosif.
Le confinement plagié à l’Europe affecte l’économie informelle, source de revenus et d’emplois pour une majorité des jeunes. Dans leur majorité, les pays africains sont pourvus des populations qui vivent au jour le jour.
A ces fonds nationaux, s’ajoutent ceux alloués par les organismes internationaux à la République du Congo : Banque Mondiale 11,3 millions de dollars et la Banque Africaine de Développement (BAD) 73 millions de dollars, le FMI s’est abstenu à un quelconque octroi. Cette gestion chaotique chronique des États a interpellé les intellectuels africains à la tête desquels Wole Soyinka[8], prix Nobel de littérature. Dans une lettre ouverte adressée aux gouvernants africains, ils assomment ces derniers à « gouverner enfin avec compassion et à voir cette crise comme une opportunité pour un changement radical de direction »[9].
4- Le confinement : de la précarité à la pauvreté.
Le professeur Mamoudou Gazibo, lors d’une entrevue sur Rfi, affirme : « Un État social, c’est un État qui a un contrôle de sa population, dans le sens où on a des recensements qui sont effectifs, où on sait quelle proportion de la population a un emploi, comment les gens vivent, quels sont les types de politiques ciblées qu’on devrait avoir à destination de telle ou telle catégorie »[10].
L’Agence de notation américaine Standard and Poor’s vient de réviser la perspective de sa notation sur le Congo-Brazzaville de stable à négative[11]. Les contributions internationales restent modestes bien que l’Union Européenne ait pu débloquer 3,5 millions comme fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique dont 1,5 millions d’euros via la Croix Rouge française et 1,5 million d’euros pour le Programme Alimentaire Mondial.
Conclusion.
Au regard du confinement ‘’plagiaire’’, cette crise inédite du coronavirus aura suscité une véritable prise de conscience des décideurs politiques à qui il est reproché la mauvaise gouvernance. Achile MBEMBE donne le ton : « Si, de fait, le Covid est l’expression spectaculaire de l’impasse planétaire dans laquelle l’humanité se trouve, alors il ne s’agit, ni plus ni moins, de recomposer une Terre habitable parce qu’elle offrira à tous la possibilité d’une vie respirable. Il s’agit donc de se ressaisir des ressorts de notre monde, dans le but de forger de nouvelles terres »[12]. D’où le sens de cette invitation que Wole Soyinka lancée aux dirigeants africains : « Pourriez-vous, juste un moment, oublier le pouvoir et penser au peuple? Cesser de penser aux prochaines élections et réfléchir plutôt à ce qui est vraiment essentiel pour que l’humanité, sur notre continent africain, soit un pilier de notre conception globale du monde »?[13]
[1] Universitaire, philosophe historien et enseignant, membre de l’équipe du ‘White Institute for Social zt Economic Researchde l’Université de Witwatersrand de Johannesbourg, Afrique du Sud
[2] Achile MBEMBE, Le droit à la respiration, in COVID-19-Cameroon.org via APC.com, SENEPLUS, le 06/04/2020.
[3] L’aide financière souscrite par les organismes internationaux comme le FMI, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de développement…
[4] Est considéré comme désordre ici le chao généré par cette pandémie survenue inopportunément au moment où les économies des États africains étaient en berne.
[5] WOLE Soyinka, né le 13 juillet 1934, est un écrivain metteur en scène nigérian. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1986, il est le premier auteur noir à en être honoré
[6][6][6] Lettre d’Afrique Centrale n.17-mai 2020@DG Trésor.
[7] MAMOUDOU Gazibo , Professeur de Sciences politiques à l’Université de Montréal et membre du GIERSA.
[8] WOLE Soyinka, né le 13 juillet 1934, est un écrivain metteur en scène nigérian. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1986, il est le premier auteur noir à en être honoré.
[9] Interview réalisée par Caroline Lachowsky avec WOLE Soyinka dans ‘’Autour de la Question’’ sur la chaîne internationale française rfi ce mercredi 1er Mai 2020.
[10] Entrevue accordée à MAMOUDOU Gazibo Laurent Correau de Radio France Internationale le 10/05/2020 par le Professeur de Sciences politiques à l’Université de Montréal et membre du GIERSA.
[11] Lettre d’Afrique centrale n.17-mai 2020@DG Trésor
[12] Le droit universel à la respiration, idem
[13] WOLE Soyinka, né le 13 juillet 1934, est un écrivain metteur en scène nigérian. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1986, il est le premier auteur noir à en être honoré